Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
Vom Netzwerk:
nulle part en
revenant de tout. » Cependant, Notre Incorrigible Prince pontifiait devant
les micros : « Je ne veux pas d’une génération
sacrifiée ! » Et aussitôt il agissait en faveur d’entreprises qui n’embauchaient
point de jeunes, mais il ignorait ce que M. Hemingway avait dit, une bière
fraîche à la main, assis à la terrasse de la Closerie des Lilas devant le
maréchal Ney statufié dans le bronze, sabre au poing après la débâcle de
Waterloo : « Je pensai que toutes les générations sont perdues par
quelque chose et l’ont toujours été et le seront toujours. »
    Notre Inexorable Leader, enivré d’autorité et de colère, se
défoulait sur les jeunes puisque lui-même ne l’avait jamais été, et qu’il
devait leur en vouloir de l’être. Il fit interdire par la baronne Bachelot, qui
se mêlait de la Santé publique, la vente d’alcool et de tabac aux moins de
dix-huit ans, parce qu’il ne savait d’autre méthode, oubliant que les interdits
poussaient au crime, se contournaient avec joie, et que réprimer c’était
inciter. Notre Arrogant Monarque rangeait la jeunesse en deux classes
distinctes et également dangereuses, les uns étudiaient ou prétendaient le
vouloir, les autres traînassaient dans leurs banlieues, y tournaient comme des
tigres au zoo et le forçaient à sévir ; ce fut alors que la notion de
bandes apparut dans les gazettes. Les bandes avaient toujours existé dans la
jeunesse comme un réflexe de survie, une chaleur, des amitiés, une force en
face d’adultes satisfaits ou rigides qui ne comprenaient plus. Souvenez-vous
des grandes vacances d’autrefois, de ces bandes désœuvrées sur les plages,
réunies en rond autour d’un transistor qui crachotait la chanson de l’été.
Souvenez-vous des jalousies, des amours rapides mais éternels qui résistaient
mal à la rentrée des classes. Souvenez-vous de West Side Story  :
les Jets et les Sharks existaient encore dans nos terrains vagues.
    Des jeunes gens qui avaient grandi ensemble vivaient en
grappes à la périphérie, dans des paysages gris d’une tristesse abyssale où,
pour se donner une allure guillerette, les écoles et les gymnases se nommaient
Pablo Neruda ou Jacques Prévert. Ces lascars flânaient, se tenaient les coudes
et tuaient le temps ; ils s’écharpaient entre quartiers pour mieux régner
sur leurs territoires. Les incidents étaient fréquents à Beaumont-sur-Oise,
Alençon, Stains, Vigneux, Draveil, Montgeron, Arcueil… Un matin, des petits du
Chesnay se firent molester en allant jouer au ballon dans la cité voisine des
Dahlias. Ils se plaignirent à leurs aînés, des grands de vingt ans qui
menacèrent en retour. Un duel à la clef à molette eut lieu sur les hauteurs de
Gagny, dans des carrières. Le Chesnay l’emporta à cause du nombre, parce que
les combats singuliers n’existaient plus. Ruminant leur revanche, les Dahlias
plantèrent un couteau dans le dos d’un Chesnay isolé, devant un centre
commercial. En représailles, le lendemain, un gosse des Dahlias fut roué de
coups et dévalisé dans une gare. Avec des cagoules, des barres de fer, des couteaux,
des tournevis, une expédition punitive fut lancée contre un lycée de
Gagny ; il y eut douze blessés. L’équipée se retrouva en gros titres à la
une des gazettes.
    Cette réalité irrita fort Nicolas I er , qui
roula des épaules comme un shérif : « Ce sont pas les bandes qu’elles
vont gagner ! » Notre Indépassable Monarque n’entendait point que,
selon l’usage de nos contrées, la force restât à la loi, mais que la loi restât
à la force. Des idées magistrales fusèrent aussitôt, que la Cour relaya. Sa
Majesté voulut un nouveau fichier des écoles maudites où les maîtres recevaient
des œufs sur la tête et des injures de marmots orduriers qu’ils n’avaient point
le droit de gifler. Des compagnies de vigiles à biceps allaient faire des
rondes et contrôler, soit, mais un policier plus finaud que les autres se
demanda où les trouver puisque les effectifs des commissariats se réduisaient
par souci d’économie autant que ceux des enseignants. Quoi qu’il en fût, Sa
Majesté concocta une loi contre ces bandes morveuses : désormais, qui
assistait à un incident, même avec les mains dans les poches, méritait trois
années d’embastillement. Le comte d’Estrosi s’y attela et pondit un texte qui
existait déjà sous un autre nom, celui d’association de

Weitere Kostenlose Bücher