Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
malfaiteurs.
Il y eut d’autres idées grandioses, comme celle de placer
dix ou vingt portiques de sécurité à l’entrée des collèges pour vérifier que
les élèves n’y entrassent aucunement des armes pour assassiner leurs maîtres ou
leurs surveillants. Dans un établissement de six cents élèves, des malicieux
avaient calculé que ces adolescents devraient se tenir devant les grilles
environ cinq heures avant le premier cours de la journée, donc à trois heures
du matin, sans oublier que faire sonner le portique pouvait devenir un jeu
facile et très amusant, car il suffisait d’un trousseau de clefs ou d’un compas
en métal. On imaginait par avance les vantardises à la récréation :
« J’l’ai fait sonner sept fois, moi, ce matin, le portique !
— Et moi huit, à cause de mon appareil
dentaire ! » Remarquons à ce propos qu’aucun lycéen n’avait jusque-là
été surpris en train de porter un pistolet-mitrailleur dans son cartable, juste
un poinçon pour crever les pneus de la voiture du proviseur. Quand les
policiers intervenaient dans des quartiers misérables, ils étaient souvent
reçus au petit plomb comme des perdreaux, mais des armes de guerre circulaient
en banlieue. Les gangs bien organisés de dealers et de braqueurs qui avaient
peu fréquenté l’école, plus âgés, achetaient en contrebande une kalachnikov pour
trois mille euros, un colt pour quinze cents, voire des lance-roquettes ou des
357 Magnum. Ce matériel arrivait des Balkans en pièces détachées, fourgué par d’anciens
soldats du Kosovo ou de Bosnie.
Comme à son habitude, Sa Majesté préférait traiter la surface
des choses, qui seule se voyait, et il répondait à la brutalité par la fureur,
comme ce M. Vaillant-Couturier irascible qui préconisait autrefois la
démesure : « Pour un œil, les deux ; pour une dent, toute la
gueule. » Il y avait cependant d’autres violences redoutables, que Notre
Vitupérant Monarque attisait en y étant sourd et aveugle, celles que
subissaient les employés chassés de leurs bureaux, les ouvriers jetés par
milliers de leurs usines, et qui se rassemblaient quelquefois pour hurler au gré
des fermetures. Un jeudi de mars, ils furent près de trois millions, exaspérés,
à défiler dans deux cents villes, rejoints par les étudiants. On y remarqua des
vedettes, ceux de Continental qui fabriquaient des pneus dans l’odeur du
caoutchouc, de la graisse et du carbone ; ils portaient un cercueil sur
lequel était écrit en grosses lettres : « Les actionnaires au caviar,
les salariés au placard. » Voilà l’obligation nouvelle : pour se
défendre, pour simplement négocier un départ aux oubliettes moins honteux et
mieux rémunéré, les désespérés devaient passer sur les écrans, se montrer, être
connus. Les gazettes ne se déplaçaient que si le spectacle croustillait, alors
les uns saccageaient un bureau de préfet, les autres menaçaient de faire
exploser leurs hangars avec des bouteilles de gaz alignées sur un muret ;
d’autres bombardaient leurs directeurs avec des œufs, des pétards, des
crachats : un monsieur en costume bleu marine, fuyant, courbé, transformé
en omelette, cela avait de la gueule aux images de vingt heures. Avec les
séquestrations de cadres, l’intérêt des échotiers monta d’un cran. Les ouvriers
appelaient cet acte litigieux une retenue. Des sociétés de sécurité
spécialisées entraînaient même des patrons, lesquels allaient licencier et
ainsi s’exposer à ce genre de représailles pour verser de plus lourdes
indemnités : ils seraient enfermés, entre cinq et trente heures, et
devaient donc prévoir en permanence un nécessaire à toilette, une chemise de
rechange, stocker de l’eau en salle de réunion, et pourquoi pas des gâteaux
secs.
Apeurés par la tornade sociale qui pouvait les balayer et
transformer leurs maroquins en chiffons, les ministres impériaux se faisaient
discrets ; on ne les entendait plus guère. Notre Hardi Monarque convoqua
ces poltrons au Château à l’heure du déjeuner et leva leurs inquiétudes en
donnant l’exemple de sa magnifique maîtrise : « C’est dur pour vous,
j’comprends, mais que moi aussi j’me fais taper d’ssus, eh ben j’vais vous dire
quelque chose, c’est que moi, je l’ai, la banane. La période, elle est
formidable, c’est nous qu’on conduit l’bateau, on a pas l’droit d’avoir la
pétoche. » Les autres se demandaient quelle médecine
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