Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
avalait leur
souverain pour tenir aussi ferme le choc. Ils ignoraient que le chevalier de
Guaino, chargé des discours essentiels, avait montré à Sa Majesté la
planche 25 de L’Étoile mystérieuse pour lui gonfler le moral. On y
voyait M. Tintin en ciré ; il bravait le vent et les paquets de mer
qui se déversaient sur le pont du navire Aurore pour s’approcher du capitaine
Haddock, lequel tenait la barre en souriant, une pipe éteinte aux dents, et
disait à son jeune ami : « Jolie brise, n’est-ce pas ?
— Comment ? lui répondait M. Tintin. Ce n’est
pas une tempête ?
— Mais non, reprenait le marin, un simple coup de tabac. »
Désormais, à la suite de cette lecture fortifiante,
ministres et conseillers mal à leur aise suivaient les leçons du stratège
personnel de Sa Majesté, M. Le Goudard, un parasite de la réclame qui
réfléchissait à l’image impériale et comment la pomponner. Il avait la tâche
ardue d’expliquer que le Prince n’était pour rien dans la Crise, cause de nos
malheurs. M. Le Goudard enseigna aux ministres les plus angoissés à se
vendre. Il leur servait une vieille rengaine, sortie déformée des lointains
propos de M. McLuhan, un Canadien qui avait le premier su décortiquer nos
moyens de communiquer : Vous êtes le message ! leur disait-il
avec un air d’hypnotiseur. Comme aux regards hébétés il comprenait que lui-même
n’était point un message convaincant, M. Le Goudard enfilait alors des
exemples :
— Prenez modèle sur la duchesse de Lorraine.
— Mme de Morano ?
— Oui, car elle sait capter l’attention par ses
foucades, ses mimiques, ses intonations, et ainsi elle existe, même si personne
n’a retenu ce qu’elle a dit et qui ne compte pas. Vous me suivez ?
— Sans doute, grand gourou. Pour qu’un discours porte
il faut y mettre de la gouaille.
— Parfait ! Vous pouvez même y rajouter un brin de
vulgarité, ou de grossières fautes de langage comme Sa Majesté, laquelle
piétine la syntaxe, afin que votre auditoire soit rassuré en vous entendant
parler un français aussi boiteux que le sien.
— Mais nos discours…
— On vous mijotera au Château la seule phrase qui devra
se maintenir, au moins deux jours, et fleurira dans les gazettes ; le
reste n’est que babil et habillage.
Le 1 er avril, cette journée vouée par
tradition au fameux poisson accroché dans le dos qui symbolise le rire aux
dépens, Notre Stressant Suzerain allait retrouver les affaires du monde où il
aimait scintiller ; immanquablement cela ferait grimper sa basse
popularité. Pour s’échauffer il gesticula à Châtellerault, avant de rencontrer
à Londres les principaux dirigeants de la planète, et s’attaquer aux mœurs
sauvages de la finance : « Y a pas l’choix, dit-il, faut des
résultats, on va pas s’réunir pour rien ! » Il donna un prêche tout
en muscles dans un hangar rempli de patrons du patronat et de supporteurs
impériaux, loin des trois mille manifestants tenus à distance raisonnable par
des jets de lacrymogène. Une ouvrière de la fonderie locale expliquant qu’elle
se trouvait au chômage partiel, cela permit à Sa Majesté de trousser une
réplique préparée : « J’préfère qu’on parle d’activité partielle que
d’chômage partiel ! » Notre Prodigieux Autocrate appelait positiver cette inversion sournoise des termes, et il ajouta pour les grincheux :
« C’est pas les critiques qui f’ront les emplois de demain. » Puis il
partit à Londres en matamore, malgré sa menace de quitter le sommet s’il ne
parvenait point à rendre plus aimable la finance internationale. À qui évoquait
ce dernier caprice il répondait en débarquant chez les Grands-Bretons :
« C’est embêtant pour moi de partir alors que j’viens d’arriver et que j’dois
construire un nouveau monde… »
Pour complaire à Notre Stupéfiant Monarque, afin qu’il ne
quittât point sa chaise avant la clôture du sommet pour rentrer furibond au
Château, les autres grands chefs des grands États durent l’écouter qui tonnait
contre les paradis fiscaux : « C’est ça, la fraude ! disait-il. Êtes-vous
pour la fraude ? » Les autres hochèrent la tête. Ils connaissaient
ces points du globe, bénis des financiers, où l’on ne demandait jamais d’où
venait l’argent déposé, que protégeaient le secret et un impôt faible ou nul.
Ils savaient que ces paradis étaient en Grande-Bretagne, en
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