Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
fut
informé par des gazettes qui se contredisaient. On avait d’abord localisé Leurs
Majestés au Tamarindu Beach and Golf Resort, sur la côte pacifique, où l’on
pouvait souper aux chandeliers sur les trois kilomètres de plage privée que
surveillaient au large des patrouilleurs de la marine ; puis on décela
leur présence dans l’État de Jalisco, invités chez le banquier Ramirez, un
milliardaire qui spéculait sur le peso et avait naguère blanchi de l’argent
louche ; on sut encore que la police avait évacué un site archéologique à
Teotihuacán, pour que le Prince et Madame pussent s’y promener en compagnie du
président Calderón. Ce dernier redoutait que Notre Piaffant Monarque lui
demandât de libérer sur-le-champ une Française qu’il détenait pour soixante
années dans ses prisons ; elle avait été accusée de participation à des enlèvements,
le nouveau méfait national mexicain, environ dix mille par an qui se
terminaient souvent par la mort ; la Française criait son innocence mais
le président Calderón ne put rien pour que Notre Prince revînt au pays avec
elle, comme autrefois l’ancienne impératrice avec les infirmières bulgares
capturées en Libye. « Je ne peux pas intervenir comme vous sur la justice,
Sire, lui expliqua Calderón. Ici nous sommes en république et nos magistrats
sont indépendants. » Le Prince n’insista que pour la forme et, avant de
rentrer bredouille au Château, il passa en revue des soldats vert olive qui
gouttaient de sueur sous le képi, tant le soleil chauffait, puis il présenta
aux Mexicains une ribambelle d’affairistes français de haute volée qui s’apprêtaient
à fondre comme des choucas sur la main-d’œuvre locale, si bon marché. Le
Transfuge Besson rejoignit cet aréopage après avoir fait un détour pour
examiner le mur de quatre cent quatre-vingts kilomètres qui fermait la
frontière avec l’Amérique du Nord ; il se passionnait désormais pour les
migrants sans papiers et les façons de les contrer. Il avait des barbelés dans
les yeux, cet homme, et un mauvais sourire en biais. Au ministère des
Tracasseries, sous prétexte de détruire les filières clandestines, il compliquait
la vie de quiconque nourrissait, habillait ou hébergeait ces bougres d’Afghans
qui fuyaient des massacres. Ses vaillants policiers n’hésitaient jamais à
investir des organisations charitables, comme le centre Emmaüs de Marseille,
pour relever les noms étrangers de leurs résidents et en arrêter au besoin. Le
Transfuge Besson présentait à son monarque des chiffres ronflants de
reconduites à la frontière, comme ces dix-sept Marocains qui, venant d’Italie,
traversaient notre Midi en car pour rentrer chez eux par l’Espagne ;
enfournés dans le vol Perpignan-Paris-Casablanca, on les renvoya donc où ils
voulaient aller.
À force de concentrer les décisions dans son bureau, Notre
Brouillon Souverain se retrouva isolé. On grondait jusqu’autour de lui. Ses
ministres, il les désavouait en public, les injuriait en privé ; ils en
perdaient le peu d’autorité qu’autorisaient leurs titres. Sa Majesté jetait des
lois par poignées comme la semeuse, et annonçait des mesures avec lesquelles
chacun, les découvrant, devait se débrouiller ; ces réformes qu’ils
devaient défendre, sorties chaudes de la cervelle impériale, manquaient de
préparation, à peine empaquetées, plus coûteuses qu’efficaces et toujours mal
comprises. Pour voter au pas de course soixante-douze lois de Notre Vigoureux
Despote, les impériaux n’étaient plus aussi nombreux qu’au début en séance, ils
rechignaient, inventaient des prétextes ; les prétoriens endurcis du
Prince n’étaient qu’une dizaine et peinaient à convaincre leurs collègues. On
appelait ces partisans les nicolistes, un nom formé sur celui de Nicolas I er ,
et leurs adversaires devinrent ipso facto des antinicolistes, parce que
sous le régime impérial ceux qui n’étaient pas pour étaient contre. La formule
s’affina et les nicolistes reprirent bientôt comme défense une expression très
ancienne du hospodar Marchais, vassal de Moscou, pour répliquer à qui le
critiquait ; son anticommunisme primaire se transforma en antinicolisme pareillement primaire , car toute la saveur tenait dans l’adjectif, ce primaire qui vous reléguait au rang des niaiseux.
Toutefois la méfiance s’ajoutait au mécontentement. Si les
députés impériaux étaient
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