Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
légitimistes, ils n’en étaient point pour cela de
fervents nicolistes. Les fustigés, les punis, les méprisés se groupaient alors,
un par un ou par paquets, sous les ailes déployées et accueillantes de
M. Copé, duc de Meaux, qui présidait leur groupe à l’Assemblée et s’y
sentait épanoui, élu par ses pairs, inamovible tant que durerait le règne de Sa
Majesté dont il guignait la place. Le duc de Meaux était le seul à ne pas subir
les humeurs de Notre Prince Agacé, car il n’en dépendait pas et préférait
recevoir dans son club que dans un froid ministère. Au pouvoir du Château il
opposait celui de la Chambre, qu’il maîtrisait. Le duc avait un grand front,
des yeux qui plissaient quand il souriait pour masquer une sorte de
contentement intérieur. Il avait dix ans de moins que le Prince et le répétait,
ajoutant qu’il avait une furieuse envie de monter sur le trône depuis l’âge de
huit ans. De son père, cancérologue et comédien, il avait appris la maîtrise et
contenait ses énervements, cachant sa brutalité évidente sous une jovialité
entretenue, et, pour marquer sa bonne humeur, il pianotait The Girl from
Ipanema sur son orgue électrique. Le duc pariait sur l’échec de ce Prince
qui l’avait écarté du Château, et il méditait devant la figurine posée sur son
bureau, un Zorro qui l’inspirait dans son action de justicier. Songeait-il à
inviter Sa Majesté dans sa maison familiale de Gambais, ce village où
M. Landru brûlait ses victimes après les avoir pigeonnées, et réduire le
souverain en poussière dans son four ? Le duc de Meaux travaillait
désormais à son compte et figurait en recours si par malheur immense Notre
Coriace Souverain flanchait. Lorsqu’il croisait dans la salle des
Quatre-Colonnes, au Palais Bourbon, un ministre ou un représentant déprimé, il
lui citait quelques vers de M. de La Fontaine, Le Loup et le chien ,
qu’il commentait d’un ton malicieux : « Toi, tu as un collier au cou
comme un chien de garde, mais moi je suis libre comme un loup. » Les
jeunes impériaux appréciaient cette légèreté, ils n’acceptaient point de se
faire traiter de chiens, moins encore de moutons, et formaient naturellement
une troupe piaffante autour du duc de Meaux ; ils critiquaient même à mots
découverts, entre eux, l’ascension du Prince Jean, un fils de Sa Majesté qui
tournait au gandin en politique ; il avait leur âge et régnait déjà sur
les impériaux des Hauts-de-Seine, à cause de son nom et de l’appui sans faille
de la Cour. Le jeune entourage du duc de Meaux devait approuver par honnêteté
la joyeuse action des militants de « Sauvons les riches » qui s’opposaient
aux excès par des pantalonnades ; ainsi les vit-on, grimés en élégants de
Saint-Jean-de-Passy, costumes cintrés ou jupes écossaises, foulards Hermès,
mocassins, troubler un paisible déjeuner du Rotary ; ils allumèrent leur
sono portative pour baigner la salle dans la musique du feuilleton Dallas et remirent au Prince Jean, interloqué à la table d’honneur, un diplôme de fils
à papa.
Un humour de printemps relevait la colère étudiante,
laquelle explosait dans des collectifs à la fois graves et farces.
« Sauvons l’Université ! » ou « Sauvons la
Recherche ! » proclamaient des apprentis professeurs et chercheurs
aux nez rouges ; ils se couchaient comme des cadavres place de la
Sorbonne, des affichettes épinglées sur la poitrine : « Je pense donc
je nuis », « Aux petits hommes la patrie méprisante » pour
singer la formule gravée au Panthéon voisin ; une corne de brume retentit,
tous se redressèrent et les filles scandèrent : « Madame, Madame, on
veut pas faire comme toi, on veut pas se faire baiser par Nicolas ! »
D’autres se relayaient pour tourner dans une ronde sans fin, jour et nuit, qu’il
fît beau qu’il fît laid, sur le parvis de l’Hôtel de Ville où des conseillers
de M. de La Noé leur proposaient du thé chaud. Ceux-là rejetaient la
nouvelle Université qui devait se transformer en entreprise. Pendant des
semaines, par dizaines de milliers, les étudiants se promenèrent en cortèges,
donnèrent des concerts de casseroles, défilèrent aux flambeaux en criant à
Brest, Lille, Reims, Lyon, Toulouse, Marseille… Ils formaient cette génération
précaire qui se ramassait en une définition qu’aurait pu écrire le grand philosophe
M. Pierre Dac : « Partir de rien pour arriver
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