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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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aussi
qui avait naguère lancé des ragots contre la fille du roi Chirac, puisqu’elle l’avait
évincé, à tel point que le vieux roi l’avait convoqué sèchement :
« Monsieur, arrêtez de dire que ma fille couche avec tout
Paris ! » Lui encore qui conseilla le commandeur Balladur pour une
élection, et ce dernier, n’en pouvant mais de ses bavardages, dut prévenir en
personne les gazetiers : « Je vous prie d’arrêter de croire les
mensonges de M. de Charon ! » Lorsque l’archiduchesse des
Charentes eut son appartement cambriolé et en accusa le Château, M. de
Charon fit répandre l’idée que la faute en était à son fils ; celui-ci,
sortant d’une soirée enfumée, avait mal fermé la porte. Plus tard, pour que l’archiduchesse
vacillât, ce fut encore lui qui fit publier un portrait de son nouveau
compagnon en filou. Toujours M. de Charon qui, avant que Notre Lumineux
Leader ne rencontrât la comtesse Bruni, surveillait de près l’une de ses
conquêtes, une échotière qu’il allait chercher à sa gazette pour la ramener
chez elle, afin qu’elle tînt sa langue et ne divulguât point les galipettes de
Sa Majesté. Désormais, M. de Charon couvait Madame et, œuvrant pour elle,
il œuvrait pour son Prince en lorgnant vers le Sénat où il espérait un
fauteuil.
     
    À défaut de l’anglais, Notre Suffocant Leader parlait
couramment le langage de la menterie. Quand il promit de s’occuper des ouvriers
de l’usine de Gandrange, en Moselle, il s’exclama devant eux : « On m’a
fait beaucoup de reproches, dans ma vie politique, pas de mentir. »
Hélas ! l’usine fut fermée ; les ouvriers mis à la rue ne purent qu’édifier
une stèle aux promesses jamais tenues de Sa Majesté. Lorsque le Prince Encensé
disait en public : « J’veux rencontrer des vraies gens, j’veux aller
dans les usines ! », chacun savait qu’il ne rencontrait jamais que
des figurants dans des baraquements vides. Le Monarque affirma-t-il que les
institutions ne voyaient rien à redire au fait qu’il nommât au sommet de deux
banques un sien ami ? Bernique ! Il n’avait consulté personne et
décidé seul ; sur les fenestrons, le cardinal de Guéant dut venir à son
secours en une phrase qui résumait à elle seule la nature du régime :
« Le Prince n’a pas menti, il a pris un raccourci. »
    La parole d’en haut devint lourdement suspecte. La loi
parlait par la bouche de Notre Nerveux Souverain, et en dessous on approuvait,
on se taisait et on tremblait. La soumission de la Cour avait été établie avant
même que le Prince ne fût sur le trône ; aux gazetiers qui le suivaient en
meute dans sa campagne pour le Château, il citait le cas de M. Louis de
Funès, qu’il aimait comme lui-même, et qui, dans l’impérissable Grand
Restaurant , au travers du rôle de M. Septime terrorisait ses employés.
« Quand je serai couronné, disait le Prince, je serai comme lui, ignoble
avec les faibles et servile avec les puissants ! »
    Pour se signaler, quelques-uns de sa clique imaginaient des
mesures dont le Prince serait content. Mme d’Alliot-Marie, duchesse de
Saint-Jean-de-Luz, inventa un matin de réprimer ceux qui manifestaient avec le
visage couvert, et qu’on ne pouvait point reconnaître. « Si on repère un
individu avec un masque de carnaval, demanda un chef de la police, comment les
collègues iront le cueillir dans un cortège sans provoquer de la
casse ? » Et s’ils sont une centaine, avec des masques à l’effigie de
Mickey ou de Sa Majesté ? Les gardiens de l’ordre impérial étaient en
alerte, ils ne voyaient plus autour d’eux que des injures lancées contre le
Prince, que celui-ci nourrissait. À Marseille, dans le vaste hall de la gare
Saint-Charles vers six heures du soir, comme des policiers contrôlaient
sévèrement un homme au teint foncé, s’attirant la malveillance des autres
voyageurs, un professeur de philosophie voulut détendre l’atmosphère ; il
pointa l’index vers les policiers et cria sur un ton de théâtre :
« Nicolas I er je te vois ! » Il fut aussitôt
embarqué parce que, dorénavant, même nommer Notre Cassant Monarque devenait une
insulte à celui-ci. Le professeur fut mis à l’amende par un tribunal en vertu d’une
jurisprudence de 1875 contre les manifestations bruyantes, même dans un hall de
gare à l’heure de pointe, même si dans le brouhaha on n’entendit pas l’invective
à plus de trois

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