Tsippora
transformait en une terrasse assez vaste, recouverte d’une voûte
rocheuse. Au fond béait la bouche obscure d’une caverne.
Un four de pierre avait été dressé sur un
côté de la paroi. De l’autre, un gros sac de toile bleu et blanc et une tunique
recouvraient de vieilles nattes aux bords effrangés qui servaient de couche.
L’emplacement était parfait, protégé du soleil autant que des vents de sable et
de poussière venus de la montagne.
Tsippora s’approcha du feu. Sous une large
pierre plate les braises blanches ne fumaient plus et couvaient en dégageant
l’odeur poivrée du térébinthe.
Moïse savait non seulement pêcher, mais
aussi entretenir un feu. Et il s’était installé dans une grotte où l’on pouvait
vivre longtemps.
Elle l’imagina mangeant et dormant sur ce
grabat. Lui, ce prince, cet homme accoutumé au luxe des puissants ! Ici,
il n’était plus un prince, en vérité, seulement un homme en fuite. Ce grabat,
s’il en était besoin, le révélait plus que tout.
Pourquoi donc fuyait-il ? Quelle faute
pouvait avoir commis un grand d’Égypte pour devoir vivre si rudement ?
Tsippora s’apprêta à poser la jarre sur la
terrasse, hésita, jugeant qu’il valait mieux la mettre dans la fraîcheur de la
grotte. Elle franchit le seuil. L’obscurité la surprit autant que l’étroitesse
de la caverne, toute en longueur. Le bâton à pointe de bronze avec lequel Moïse
avait combattu les bergers était là, appuyé contre la paroi. Sa grande gourde
était là aussi. Elle déposa la jarre tout à côté, comme un présent.
Sur la plage, Moïse péchait toujours sans
se départir de ses gestes lents et mesurés. Pas un instant il ne leva les yeux
en direction de la falaise. Elle grimpa à nouveau le chemin en courant. Le
soleil lui brûlait le front et la bouche.
Lorsqu’elle reprit la descente, voûtée sous
le poids du sac, Moïse ne lançait plus son filet. Il ouvrait et nettoyait sa
pêche, allant et venant dans l’eau et sur les galets pour laver les poissons et
en ôter les entrailles.
Soufflant fort, suant sous l’effort,
Tsippora descendit le sac aussi vite qu’elle le pouvait.
Parvenue à la grotte, elle ne put
s’empêcher de jeter encore un regard vers la plage. C’est alors qu’un reflet
plus dur, plus vaste que les autres, ondoya sur la mer.
Un vent de lumière qui nappa la plage
elle-même.
Un bref instant Moïse y parut suspendu,
comme si le ciel et la terre s’unissaient sous ses pieds. Il n’y avait plus de
plage, plus d’eau, plus d’air. Seulement un ruissellement de lumière où se
mouvaient ses mollets et ses bras, où flottaient ses hanches et son buste.
Tsippora s’immobilisa, fascinée autant que
terrifiée, indifférente au fardeau qui lui écrasait l’épaule. Une sensation
inconnue la saisit tout entière. N’épargnant pas la moindre parcelle de ses
pensées, de ses émotions, faisant frissonner sa chair et ses muscles.
Le reflet cessa.
La mer redevint transparente, doucement
bleue, piquetée d’aiguilles éclatantes. Moïse rassembla ses poissons, força une
tige de jonc au travers de leurs joues.
Tsippora laissa enfin glisser le sac à ses
pieds. Elle douta de ce qu’elle venait de voir. Peut-être n’était-ce qu’un
éblouissement dû à l’effort, à la chaleur.
Mais pas uniquement, elle le savait. Le
frémissement de sa peau, la sécheresse de sa bouche le lui rappelaient.
Elle ne pouvait détacher ses yeux de Moïse.
Il plaçait les poissons dans un creux de rocher où entrait la mer, les
recouvrait de quelques pierres avant de s’avancer dans l’eau. Il y plongeait,
nageait avec aisance, s’éloignant de la rive. Plongeait encore.
Tel un oiseau, Tsippora vit son corps dans
la transparence de la mer. Des ondes ocellées glissaient sur son dos, sur le
blanc de ses fesses et de ses cuisses que le pagne avait protégées du soleil.
Elle éprouva un vertige violent. Son ventre
et sa poitrine se durcirent alors que ses épaules, son dos s’alourdissaient.
Ses genoux plièrent un peu. Elle pressa les mains sur ses cuisses pour se
soutenir. Elle aurait dû se détourner. Un pas ou deux en arrière auraient suffi.
Baisser les paupières aurait suffi. Mais elle ne le pouvait pas. Son vertige ne
devait rien au vide de la falaise.
Elle n’avait jamais observé un homme ainsi.
Et ce n’était pas simplement parce qu’il était nu.
Moïse sortait enfin la tête de l’eau, rejetait
ses cheveux sur le côté, se
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