Tsippora
Ensuite, sur
une distance de cinq cents coudées, les failles et les ravins étaient jonchés
des cadavres des bêtes restantes dévorés par les fauves et les oiseaux de
proie.
— Le troupeau a dû s’éparpiller dans
tous les sens, effrayé et sans que personne ne le retienne, expliqua Hobab.
Il avait poursuivi son ascension, se
brisant la voix à appeler Moïse. Au crépuscule, à peine à mi-hauteur, là où les
pentes n’étaient plus que roches, éboulis, poussière et buissons d’épines, il
avait aperçu la tente.
— Ce qu’il en restait. Des pieux
brisés et la toile déchirée par le vent.
Hobab ne pouvait poursuivre sans risquer sa
propre vie.
Jethro demanda :
— As-tu vu sa mule ou sa
chamelle ?
— Ni l’une ni l’autre.
Devinant la pensée de son père, il ajouta
précipitamment :
— Là haut, il n’y a rien, mon père.
Pas une herbe à brouter, pas le plus mince filet d’une source.
Jethro lui lança un regard dur.
— Détrompe-toi, mon fils. Il n’y a pas
rien, là-haut. Il y a Horeb !
Le sage des rois de Madiân ne quitta plus
l’autel d’Horeb. Assisté le plus souvent de Tsippora, il y accomplit
scrupuleusement tous les rites, y déposa des offrandes de plus en plus riches.
Il sacrifia dix des plus belles brebis de son troupeau de petit bétail, deux
génisses et un jeune veau. Hobab, qui voyait son père consommer ses richesses
pour un homme qui n’était ni un fils, ni un frère, ni même un époux, ne
protesta pas une seule fois. Sicheved lui-même conduisit à son beau-père des
bêtes de son troupeau pour qu’en son nom il les offre à Horeb.
Bientôt, la cour et les pâturages alentour
furent recouverts de la fumée noire, grasse et pestilentielle de la viande
calcinée. Nul ne protesta de devoir vivre en se bouchant le nez. Puis, au plus
chaud d’un jour, Tsippora ressentit les premières douleurs de l’accouchement,
et l’on prépara les linges et les briques.
Sa délivrance fut bien plus rapide qu’elle
ne l’avait été pour Gershom. Le soleil se posait à peine sur l’horizon
lorsqu’elle poussa un dernier cri. Sefoba, qui avait elle-même la taille déjà
bien ronde, sortit dans la cour pour annoncer que l’enfant était un garçon.
Cependant, avant même que la sage-femme tranche le cordon et dépose le
nouveau-né entre les seins de Tsippora, des hurlements montèrent. Ils étaient
si violents, si terribles, que toutes les servantes qui avaient assisté à
l’accouchement tressaillirent. Tsippora, encore brûlante de son effort, se
redressa en gémissant. Sefoba ouvrit la porte, une servante cria :
— Il est revenu ! Il est revenu !
Tsippora se laissa retomber sur le dos,
l’enfant à peine né contre sa bouche. Une onde glacée gela la sueur sur son
corps. Hobab, Sicheved et les jeunes bergers braillèrent tous ensemble :
— Moïse est revenu ! Il est là.
Il est vivant. Moïse ! Moïse est là, il est vivant.
Tsippora murmura contre la petite joue de
son enfant :
— Il est venu avec toi, ton père est
venu avec toi !
*
* *
Hobab rit en disant :
— C’est sa mule qui l’a ramené !
Elle a retrouvé toute seule son chemin avec lui couché dessus. Elle est à peine
en meilleur état. Elle tremble de fièvre et de soif.
Sicheved s’écriait :
— Il respire, même s’il n’ouvre pas
les yeux ! Mais c’est à peine croyable. Comment fait-il pour être
vivant ? Depuis quand n’a-t-il pas bu ?
Sefoba pleurait à grosses larmes et
marmonnait :
— On ne le reconnaîtrait même pas. Sa
tunique est en lambeaux, ô Tsippora, on dirait qu’il est fait de
poussière ! Mais il est vivant.
Jethro avait les yeux brillants et la barbe
tremblante. Il écoutait les uns, les autres, et répétait :
— Horeb nous l’a rendu. Je vous
l’avais dit.
Les douleurs de l’enfantement lui sciant
encore les reins, Tsippora voulut se rendre dans la pièce où on avait étendu
Moïse. La vieille servante le lui interdit.
— Il est là, il vit. Maintenant, je
vais m’occuper de lui. Toi, c’est ici que tu as à faire, ordonna-t-elle en
déposant le nourrisson langé de propre à côté d’elle. Aie confiance, souris et
dors. Demain tu verras ton Moïse.
Toutefois, dans le jour à peine levé,
lorsque Tsippora arriva près de Moïse, son enfant serré contre, elle se mordit
les lèvres pour ne pas crier. Moïse était si amaigri que les os des tempes
semblaient pouvoir déchirer sa peau. Son torse
Weitere Kostenlose Bücher