Tsippora
Laissez-le donc raconter. Le prochain qui parle, il s’en va.
On regarda Jethro avec reproche. Mais il
était vrai que Moïse avait l’air encore bien faible et, si son histoire était
aussi longue que son absence, mieux valait ménager ses forces. Ils le
laissèrent donc poursuivre sans plus l’interrompre.
Il raconta le grondement de colère dans la
voix qui disait :
« — J’ai vu le fouet sur les
épaules de Mon peuple en Égypte. J’entends les cris sous les coups des
gardes-chiourme ! Je suis descendu pour le délivrer. Va Moïse ! Je
t’envoie vers Pharaon. Fais sortir Mon peuple du pays de Pharaon. Fais sortir
les fils d’Israël d’Égypte. Je vais les délivrer de la main des Égyptiens pour
les conduire dans un pays bon et vaste, un pays ruisselant de lait et de
miel ! Va, Je t’envoie vers Pharaon. »
Et lui, Moïse, effrayé, répondait :
« — Je vais vers les esclaves
hébreux et je leur dis : Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Ils me
demanderont : Quel est son nom ? Et moi, que dirai-je ?
« — Ehye asher ehyeh, Je suis Celui qui est », avait répondu la voix.
— Mais je ne voulais pas et j’ai
encore protesté, racontait Moïse. J’ai dit : « Ils ne me croiront
pas ! Ils n’écouteront pas ! Ils diront : Comment oses-tu
prononcer le nom de Yhwh ? »
« — Pourtant, c’est ce que tu
diras aux fils d’Israël », avait répondu la voix.
Moïse encore avait objecté qu’il ne savait
pas parler, qu’il était maladroit dans la langue des fils d’Abraham, et qu’il y
avait certainement des Hébreux plus sages, plus savants et plus sûrs que lui
pour une mission aussi importante et aussi grave.
« — Pourquoi moi ? Pourquoi
moi ? » avait-il gémi, exactement comme quand Tsippora lui répétait :
« Tu dois retourner en Égypte, je le sais depuis que je t’ai vu en
rêve ! »
Alors la voix s’était mise en fureur :
« — Qui a mis une bouche à
l’homme ? Qui le rend sourd ou muet, voyant ou aveugle ? avait-elle
grondé. Qui, sinon Moi, Yhwh ? Allez, va ! Va ! Je serai ta
bouche, Je t’apprendrai ce que tu ignores ! »
Et Yhwh avait longuement expliqué à Moïse
ce qu’il adviendrait quand il serait de retour chez Thoutmès le Pharaon.
« — Je connais le roi d’Égypte,
avait dit la voix de Yhwh. Je connais son cœur endurci. Il ne vous laissera pas
partir tant que Je ne l’y contraindrai pas ! Et Moi, Je frapperai l’Égypte
de tous Mes prodiges. »
— J’étais encore plus effrayé
d’entendre ça, racontait Moïse. Je grinçais des dents, je suppliais :
« Ils ne me croiront pas ! Ils n’écouteront pas ! » Alors
la voix me dit : « Jette le bâton que tu as dans la
main ! » Alors j’ai jeté mon bâton, comme ça.
Et Moïse de prendre le bâton que tout le
monde lui connaissait depuis toujours, le bâton avec lequel il avait brisé la
tête du fils de Houssenek, et de le jeter sur le sol de la chambre, devant les
servantes.
Ce fut une débandade. Sur le sol il n’y
avait plus un bâton, mais un serpent. Et quel serpent ! Tout noir et plus
long qu’une taille d’homme. Il releva la tête, cligna de ses prunelles fendues,
sortit sa langue et siffla au milieu des hurlements. Tous, maintenant, ils
étaient debout, Tsippora avec son nourrisson dans ses bras, Sefoba, Hobab,
Sicheved, tous debout, avec les enfants qui criaient ! Seul Jethro demeurait
assis, riant la bouche grande ouverte, la barbe secouée de plaisir, tandis que
le serpent, affolé par cette agitation, se lovait sur lui-même, roulait son
corps à la manière d’un fouet et menaçait tout autant de frapper que de
s’enfuir. Moïse à son tour, autant qu’il le put, se mit à crier :
— Ne le laissez pas s’enfuir ! Ne
le laissez pas s’enfuir, je dois le reprendre par la queue !
Mais il était bien trop faible pour se
lever et son bras ne pouvait atteindre le serpent. Sicheved eut l’idée de
lancer un coussin sur la bête, l’obligeant à reculer dans un froissement
sinistre de ses écailles, et Moïse put enfin mettre la main sur lui. Il y eut
un « Ah » stupéfait, suivi d’un silence essoufflé.
Dans sa main Moïse tenait à nouveau son
bâton. Rien d’autre que son bâton. Il y eut d’autres exclamations, d’autres
cris incrédules tandis qu’il déposait cet incroyable bâton à son côté en
soupirant. Mais avant qu’ils reprennent leur place, le cœur encore battant,
Moïse
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