Tsippora
les briques qui avaient
servi à la construction des murs et des maisons avaient été foulées dans la
joie d’édifier et d’abriter le simple bonheur de la paix, de l’affection et de
la justice.
Mon cœur battait d’avance des cris de
joie qui allaient m’accueillir, je le savais, dès que j’aurais passé la lourde
porte aux ferrures de bronze avec mes enfants. Et il en fut très précisément
ainsi.
Sefoba accourut avec une petite fille
dans les bras en faisant autant de bruit que si le feu avait pris aux toitures
de la maison. Mon frère Hobab me souleva de terre comme si j’étais encore une
enfant. Mon père Jethro, tremblant des pieds à la tête, leva les mains au ciel
en bénissant l’Éternel qui lui accordait de revoir sa fille Tsippora. Les
servantes hululèrent si bien leurs cris de joie qu’elles en effrayèrent Gershom
et Eliezer. Il y eut quantité de baisers, de rires, de larmes et d’embrassades.
Il y eut un festin comme ceux que j’avais connus, autrefois, lorsque je les
préparais pour les invités de mon père.
C’est seulement alors, assis sur les
confortables coussins et sous son dais, selon sa manière et avec son immuable
douceur, que Jethro me demanda :
— Et qu’est-ce qui a causé ton
retour, ma fille ? Moïse va-t-il bien ?
Il me fallut plus de la soirée et même
plus du lendemain pour raconter ce qu’il était advenu chez Pharaon.
Jethro n’avait rien perdu de sa manière
attentive d’écouter. Il posait toujours mille questions : pourquoi
Moïse avait-il fait cela, comment Aaron
avait-il déclaré ceci, les maisons des ouvriers étaient-elles de vraies
maisons, comment se nommait vraiment cette résine dont était enduite la reine
Hatchepsout ?
— Ah, que Yhwh me bénisse, quelle
horreur, quelle horreur ! s’exclama-t-il après que je lui eus répondu.
Ce fut le seul jugement qu’il émit, bien
qu’il me questionnât encore et encore sur Miryam et les anciens.
Il se fit aussi amener Eliezer pour voir
de ses yeux la circoncision que sa fille avait accomplie. Il eut une caresse
tendre pour le sexe de son petit-fils, puis il m’agrippa la main et, de ses
doigts désormais vrillés par la vieillesse, la serra à m’en faire mal.
— L’Éternel te bénisse, ma
fille ! s’écria-t-il, tout joyeux. Qu’il te bénisse jusqu’à la fin des
temps. Quelle chose inouïe ! Oh oui, inouïe, je vous le dis, on s’en
souviendra, c’est Jethro qui l’affirme.
Quand enfin je lui racontai mon départ,
comment Josué m’avait rattrapée et le conseil que je lui avais donné, mon père
claqua dans ses mains, heureux.
— Je reconnais bien là ma Tsippora.
Je suis fier de toi, fille de Jethro. Pour ceci comme pour tout le reste que tu
m’as raconté, oh oui, que je suis fier de toi.
Ce fut tout son commentaire.
Pendant deux ou trois jours je me
réhabituai à la vie dans la cour, usant encore beaucoup de salive pour raconter
à Sefoba et aux servantes les étrangetés du pays de Pharaon. Puis, tout à fait
comme il le faisait autrefois lorsqu’il voulait me dire quelque chose
d’important, Jethro me demanda de lui servir son premier repas du jour.
Alors que je déposais la cruche de lait
devant lui, il me désigna ses coussins.
— Assieds-toi près de moi, ma
fille.
Il me montra la pointe d’Horeb avec un
petit clignement de ses paupières toutes fripées.
— Là-haut, ça n’a pas grondé une
seule fois depuis que vous êtes partis d’ici, Moïse et toi. Pas le plus petit
grondement depuis le grand ramdam avec ta sœur Orma et Moïse.
Il gloussa et fit claquer sa langue :
— Sais-tu qu’elle est reine,
celle-ci ? Dame Orma, l’appelle-t-on désormais. Dame Orma, épouse de Réba,
roi de Sheba. Toujours aussi belle, toujours aussi écervelée et portée sur les
caprices. Le pouvoir l’émerveille. Elle en use avec tant de vigueur qu’elle
terrorise tous ceux qui l’approchent. Même les forgerons la craignent. Qui
pourrait croire qu’elle est la fille de Jethro ? Peut-être viendra-t-elle
te visiter. Peut-être pas. Car elle t’en veut toujours, et beaucoup, à ce qu’il
paraît. Mais elle pourrait se réjouir d’apprendre que tu t’es éloignée de Moïse
et ne pas résister au plaisir de t’étaler sa richesse et ses servantes sous le
nez. Bah !…
Jethro d’un regard m’indiqua que tout
cela était sans importance et qu’il avait bien autre chose à me confier. Il but
lentement son lait avant de
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