Tsippora
pour elle ?
Mais, dans son dos, les anciens
marmonnaient que Moïse ne connaissait pas assez l’histoire de son peuple pour
avoir l’esprit clair sur ses devoirs. Que valaient, en vérité, des fils dont la
mère n’était pas fille d’Israël ? Miryam ne cachait plus son dédain pour
Tsippora.
— Ne les écoute pas, mon amour, ne
leur prête pas attention, implorait Moïse la nuit en embrassant Tsippora. Ils
sont perdus. Ils ne savent plus ce qu’ils disent, et moi je ne sais pas
accomplir la promesse que je leur ai faite.
Mais Tsippora, en lui rendant ses caresses,
chuchotait :
— Si, il faut les écouter. Ils ne
m’aiment pas. Ils sont déçus de ton choix, je ne suis pas l’épouse de Moïse
selon leurs vœux. Et peut-être bien que Miryam a raison. Elle et les anciens,
et eux tous : oui, le Moïse dont ils ont besoin doit leur appartenir plus
qu’il n’appartient à son épouse.
*
* *
Un matin, Yokéved déclara à Tsippora avec
tendresse :
— Ne blâme pas Miryam, Tsippora, mon
enfant. Moïse lui doit beaucoup, à elle aussi. Quand je l’ai confié à l’eau du
fleuve pour lui éviter la mort des premiers-nés, Miryam était une jeune
servante dans le palais d’Hatchepsout, qui n’éprouvait pas la haine de son père
envers les Hébreux. C’est elle, Miryam, qui a conduit le regard de la fille de
Pharaon sur le panier où j’avais langé Moïse. Chacun savait que la reine avait
un époux débile incapable de lui donner un fils. Quand elle a vu mon Moïse,
elle n’a pas hésité longtemps.
Yokéved eut la force de rire à ce souvenir.
Puis son visage s’assombrit.
— Hélas, Hatchepsout a vieilli, et
avec elle son pouvoir. Les puissants des palais se déchiraient. Thoutmès s’est souvenu
de l’impossible naissance de Moïse. Il a fait rechercher toutes les anciennes
servantes d’Hatchepsout…
— Et il m’a trouvée.
La voix de Miryam les fit sursauter toutes
les deux.
— Tu as raison, ma mère, de raconter
cela à l’épouse de mon frère. Elle qui se croit si savante ignore ce que
signifie appartenir au peuple du Seigneur Yhwh sous le joug de Pharaon.
Droite, le regard brûlant, Miryam avança
tout près de Tsippora, la voix pareille à une lave.
— Thoutmès se doutait que Moïse
n’était pas né du ventre de sa sœur. Tout le monde s’en doutait. Et il m’a
trouvée, moi. Les soldats m’ont conduite dans les caves du palais. Pendant
vingt jours, ils m’ont interrogée sur celui qui se nommait Moïse. D’abord, j’ai
répondu : « Je ne sais pas. Qui est Moïse ? » Les questions
sont devenues des coups. Puis les coups sont devenus autre chose. Après, chaque
fois, ils demandaient : « Qui est Moïse ? De quel ventre est-il
né ? » Et je disais : « Quel Moïse ? Qui s’appelle
Moïse ? » Alors ils ont apporté des fers et des fourneaux.
En tremblant, la main de Miryam effleura sa
cicatrice.
— Ils ont cru que cela serait
suffisant. Mais j’ai dit : « Quel Moïse ? Comment pourrais-je
connaître ce nom ? »
Alors, les doigts de Miryam dégrafèrent sa
tunique. Elle en ouvrit en grand les pans, s’offrant aux regards. Tsippora, se
recouvrant la bouche de la main, gémit d’horreur.
La poitrine, le ventre et les cuisses de
Miryam étaient lacérés d’une dizaine de cicatrices aussi épouvantables que
celle de son visage. Violacées, elles tranchaient son sein droit, formant des
replis semblables à du vieux cuir qui le rendaient informe.
— Voilà ce que c’est, que d’appartenir
au peuple de Yhwh sous la main de Pharaon, gronda Miryam. Regarde-moi bien,
fille de Kouch ! Regarde la marque des esclaves ! Et comprends que tu
n’es que l’épouse de Moïse. Comprends que tu dois te contenter de cette place
et jette le silence sur ce bonheur, car il en est chez nous qui ne connaîtront
jamais des caresses et des baisers pareils à ceux dont mon frère te comble.
Quatrième partie
La parole de Tsippora
J’avais fait un rêve. Il s’était
réalisé.
Mais devant le corps de Miryam, il
s’effaçait.
J’avais appelé le dieu de mon père
Jethro : « Qui sera mon dieu si ce n’est toi ? » Celui de
Moïse avait répondu : « Je suis là, Je suis Celui qui est,
Yhwh. »
Et voilà que devant le corps martyrisé
de Miryam, le Dieu de Moïse m’était interdit. Devant le ventre et la poitrine
de Miryam, devant sa beauté ruinée, sa chair violée, ma chair intacte et douce
à
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