Tsippora
aimer me rendait à l’ombre des femmes sans ancêtres.
Tsippora l’étrangère, Tsippora l’épouse
de peu de poids.
Miryam n’eut pas besoin de répéter la
leçon, je l’avais comprise. L’épouse de Moïse ne pouvait joindre sa parole à
ceux qui enduraient la haine de Pharaon parce qu’ils appartenaient au peuple de
Moïse et de Yhwh. L’épouse de Moïse n’était d’aucun peuple, qu’il fût exécré ou
glorieux. Elle était comme la poussière de l’ivraie après que l’on a trié
l’orge.
Yhwh s’était montré à Moïse pour se
faire entendre par son peuple, Moïse désormais appartenait à son peuple, comme
les plaies de Miryam parlaient pour toutes les plaies endurées par les fils
d’Israël sous le joug de l’Égypte.
Comme le poids de Tsippora était léger
dans cette bataille !
Comme la parole de Miryam était lourde,
qui m’interdisait de recevoir l’amour de mon époux, ou même de le soutenir
autrement que par mon silence et le retrait de mon corps trop noir !
Et je gémissais, ignorant encore les
jours de tumulte et de sang qui m’attendaient. Ignorant la souffrance de la
perte qui aujourd’hui me tue tout autant que le sang qui s’écoule de mon ventre
entaillé, de ma plaie aussi béante que celle de Miryam.
Le retour
Il m’a fallu beaucoup de mots et de
caresses pour convaincre Moïse que la sagesse m’imposait de rentrer chez
Jethro. Sa fureur résonna dans la maison de Yokéved aussi bien que dans les
rues du village.
— Yhwh parle pour toi autant que
pour les autres ! grondait-il.
Il implorait :
— Demeure avec moi, je ne ferai
rien de bon sans toi.
Il allait devant les anciens et
s’exclamait :
— L’Éternel serait-Il l’Éternel
s’il ne soutenait que ceux qui ont notre couleur de peau ? Croyez-vous
qu’Il se détournera de mes fils parce que leur mère est de Kouch ?
Et les anciens lui répondaient,
inlassables et certains de leur savoir :
— Tu oublies l’Alliance, Moïse.
L’Éternel tend la main à ceux qu’il a élus dans son Alliance, pas aux autres.
Ce qui augmentait d’autant l’irritation
de Moïse :
— Cette Alliance et ces devoirs que
vous avez oubliés durant tout le temps qui a conduit Joseph dans les mains de
Pharaon !
Si violente était sa rage qu’elle
révélait la certitude qu’il avait de mon départ. Alors, c’est contre moi qu’il
retournait sa peine :
— Est-ce tout l’amour que tu me
portes ? Tu déguerpis pour mieux m’aimer ? Toi, mon épouse de
sang ? Alors qu’ici, devant cette multitude, je suis encore plus faible
que dans le désert où tu m’as rendu la vie ?
Il me fallait l’apaiser de baisers et de
caresses, dont je m’enivrais comme d’un miel bientôt tari. Et je tentais de
m’apaiser moi-même, tant l’envie était forte de lui accorder ce qu’il réclamait
et de dire :
— Oui ! Oui, bien sûr que je
demeure près de toi. Mais Miryam était là, qui passait devant moi. Sa seule vue
me ramenait à la raison.
Enfin, un soir où le fouet de Pharaon
venait de décimer toute une cohorte épuisée et incapable de fournir le monceau
de briques réclamé par les contremaîtres, ceux qui rentrèrent au village s’en
prirent à Moïse.
— Regarde, Moïse ! Regarde ces
cadavres qu’on te rapporte. De la charpie d’homme. Ah ! Que Yhwh vous
voie, toi et ton frère. Vous avez fait puer notre odeur au nez de Pharaon et de
ses princes. Vous leur avez mis à la main la lame qui nous tranche. Et toi, tu
brailles parce que tu dois perdre ton épouse ?
La nuit suivante, Moïse la passa debout
sur la crête de la carrière qui surplombait le village. Craignant pour lui, je
l’avais suivi avec Josué. Tapis derrière une roche, nous l’entendions qui
appelait Yhwh à gorge déployée :
— Pourquoi m’avoir envoyé ?
Depuis que je suis venu vers Pharaon pour parler en Ton nom, il maltraite ce
peuple et Tu ne le délivres pas. Pourquoi me faire avancer, si c’est pour le
pire ?
Il hurlait si fort qu’en bas, au
village, ils l’entendirent aussi. Mais, pas plus que Moïse, ils n’entendirent
la réponse de Yhwh.
Dès l’aube du lendemain, me rapporta
Josué, les anciens et Aaron murmurèrent :
— L’Éternel ne répond pas à Moïse.
La présence de la Kouchite le rend impur. Yhwh ne veut pas se montrer à lui
tant qu’il n’a pas réglé ce problème.
Il n’était plus temps d’attendre. J’ai
ordonné à Murti, ma servante, d’aller
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