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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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Conciergerie, c’était l’ Enfer de Dante –  lasciate ogni speranza, voi ch’entrate !  –, c’était
les Plombs de Venise sans fuite possible par les toits.
Nul, ici, ne pouvait s’improviser Casanova.

    — Qui êtes-vous ? me demanda-t-il.

    — Ne me reconnaissez-vous donc pas ?

    J’ôtai alors mon bonnet, approchai une bougie pour
mieux éclairer mon visage.

    — Toi ici ? Non... Impossible !

    — Et pourtant me voilà.

    — Comment as-tu...?
     

    Peut-être, Monsieur, vous dois-je quelques explications. Je ne vous ai pas tout dit. On croit tout savoir
d’un homme et on découvre, stupéfait, qu’il n’est pas
tout à fait celui qu’il prétendait être, ou s’il l’est, du
moins y a-t-il encore quelques facettes de sa personnalité que l’on ignorait. Avant d’être gardien de prison
pour la Révolution puis soldat pour l’Empereur, j’étais
cent-suisse pour le roi. Je faisais partie de ce noble
corps dont la devise Telle est la fidélité de ceux de cette
nation est inscrite en latin sur le drapeau blanc. J’étais
aux Tuileries le 10 août. Je vous vois tressaillir ; vous
savez ce que cela signifie. On a dû vous conter le massacre, les gardes jetés vivants par les fenêtres, ceux tués
à coups de sabre et de pique, ceux découpés en morceaux dans les appartements de la reine, celui dont
on arracha le cœur pour le bouillir... Tout cela est
connu.

    C’est un miracle si j’y ai échappé. Je fus blessé, laissé
pour mort sous un monceau de cadavres. Je parvins à
me traîner quelques mètres, à me relever, à quitter le
palais pour gagner les Champs-Élysées. C’est là qu’un
homme me recueillit, me cacha, me soigna, me donna
de l’argent, des vêtements, des faux papiers. Deux moisplus tard, j’étais rétabli. Plutôt que de fuir Paris et
gagner la Suisse comme il me l’avait conseillé, je restai
dans la capitale sous un faux nom, et jurai de venir un
jour en aide à cet homme qui m’avait sauvé la vie. Cet
homme, c’était Gensonné.

    Quand il fut arrêté, je ne pensais plus qu’à solder
ma dette envers lui. Il m’avait arraché à la fureur du
peuple, je l’arracherai à celle de ses accusateurs. Je
me fis jacobin, devins gardien de prison, d’abord à
l’Abbaye, ensuite à la Conciergerie.
     

    — J’ai forcé la main du destin, lui dis-je. Mais qu’importe, nous n’avons pas de temps à perdre. Voilà
mon plan : vous allez enlever vos habits, revêtir les
miens, me ligoter, prendre ce trousseau de clefs et
cette bourse, et vous enfuir. Les guichetiers sont soûls,
ils ne feront pas attention à vous. Partez loin d’ici,
évitez les routes, ne dormez pas dans les auberges, préférez les granges. Vous trouverez sans doute une âme
charitable qui vous accueillera comme jadis vous
m’avez accueilli. Attendez que tout se calme, que la
Montagne s’écroule. Et si Dieu le veut, vous reviendrez
en vainqueur.

    — Et toi, mon ami ? Que vas-tu devenir ?

    — Moi, monsieur, je jouis du privilège d’être toujours en vie grâce à vous. On me trouvera et alors... s’il
faut aller en prison, je supporterai la prison ; s’il faut
mourir, je suis prêt à mourir.

    — Ton dévouement t’honore. Mais je ne saurais
accepter une offre qui te perdrait.

    — J’étais déjà perdu et par votre bonté je vis encoreaujourd’hui. J’étais condamné, vous m’avez accordé un
sursis.

    — Mon ami, me dit-il en me serrant dans ses bras, je
t’en suis reconnaissant, mais je dois refuser.

    Je protestai :

    — Mais... Monsieur... Enfin...

    — Quand je t’ai recueilli, que faisais-tu ?

    — Ma compagnie se faisait massacrer, plus personne
n’était en vie, le roi s’était réfugié à l’Assemblée...

    — Et qu’aurais-tu fait si, quelques heures auparavant, je t’avais proposé de te réfugier chez moi, d’abandonner ta compagnie ?

    — Je suis un soldat. Je serais resté. Un soldat ne
quitte pas son poste.

    — Bien ! Vois-tu, je suis, moi aussi, un soldat devant
l’ennemi. L’ennemi combat la liberté. Je la défends. Je
ne quitte pas mon poste. Et mon poste, quand la liberté
se meurt, c’est l’échafaud.

    — Mais monsieur...

    — N’insiste pas. Je ne me fais aucune illusion sur le
sort qui m’attend, mais je subirai sans m’avilir. Mes
commettants m’ont envoyé ici : je dois mourir au poste
qu’ils m’ont assigné. Adieu, mon ami !

    Et il partit se coucher.
     

    Dans un angle

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