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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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thermomètres,

    — démontré que l’hydrogène, l’oxyde nitrique, le
bioxyde de carbone et la vapeur d’eau, en passant de
l’état liquide à celui de vapeur, libèrent des charges
électriques mesurables à l’électromètre,

    — établi que la transmutation de l’eau en terre,
alors largement acceptée, n’était qu’un mythe,

    — prouvé que la combustion ne consiste pas en une
libération de phlogistique mais en une captation d’air
s’accompagnant d’une augmentation de poids,

    — réalisé l’analyse et la synthèse de l’eau,

    — codifié la nouvelle méthode de nomenclature
chimique,

    — démontré que l’air atmosphérique est un mélange
d’oxygène et d’azote et que l’eau est un corps composé,
formé d’oxygène et d’hydrogène, remettant ainsi en
cause la théorie des quatre éléments d’Aristote.

    Dois-je continuer ? Faut-il vraiment que je dresse ici
l’inventaire complet des découvertes du plus grandesprit français du siècle dernier, ou cette liste suffit-elle
à prouver qu’il était bel et bien le plus grand esprit
français du siècle dernier ?

    Mais la République – Oh ! je tressaille encore à l’évocation des mots qui vont suivre, à peine croyables et
qui furent pourtant proférés par le président du tribunal, cet imbécile sanguinaire dont, vous ne m’en
voudrez pas, je n’ose prononcer le nom, ce nom qui
demeurera de siècle en siècle objet d’injures et de
mépris – la République, Monsieur –, il faudra donc
répéter cette ineptie, ce crime contre l’esprit ! – la
République n’avait pas besoin de savants . Et elle avait
d’autant moins besoin du plus grand esprit français du
siècle dernier qu’il était le plus savant parmi les savants.

    Et le plus savant parmi les savants, après qu’il eut
appris la sentence, ne demanda pas la grâce – pensez-vous ! Vous l’imaginez, lui, se prosterner devant ses
juges pour leur quémander la vie ? – mais un sursis,
qu’on lui accorde seulement quelques jours, une quinzaine tout au plus, pour reprendre une expérience
débutée avant la prison et qu’il lui tenait à cœur
d’achever. Après quoi, c’est promis, il irait mourir,
puisqu’il le fallait. Mais non, la République – décidément, je n’y arrive pas – n’avait pas besoin de savants,
ni de chimistes, ni de philosophes, ni d’économistes,
mais de victimes et d’un bourreau ; le cours de la justice ne pouvait être suspendu ! Il y avait urgence à
guillotiner le plus grand esprit français du siècle
dernier ! Il ne fallait pas perdre une minute ! Eût-il
vécu une heure de plus et, c’est certain, la contre-révolution était faite, la Vendée triomphait, Pitt et Cobourgparadaient dans Paris, la République était anéantie !
Elle semblait dire au bourreau : vite, fais ton devoir,
toi, le dépositaire du pouvoir de tuer, assassine légalement le plus grand esprit français – nous n’étions
pas encore au siècle dernier –, car il en va du sort de la
Révolution !

    Vous l’avez compris, on refusa de lui accorder un
sursis. Alors il retourna dans sa cellule, et reprit sa lecture en attendant le dépositaire du pouvoir de tuer.

    *

    Car depuis qu’on lui avait ôté sa liberté, le plus grand
esprit français du siècle dernier passait son temps à
lire, et semblait résigné à continuer ainsi jusqu’à ce
qu’on lui ôtât enfin la vie.

    À l’abbaye de Port-Royal, transformée en maison
d’arrêt pendant la Révolution, il lisait. Dans l’hôtel
des Fermes, reconverti en prison à l’usage des fermiers
généraux, il lisait. Quand on vint le chercher à la
Conciergerie, un quinquet fuligineux éclairait à peine
la cellule assombrie, et le plus grand esprit français du
siècle dernier, tapi dans la pénombre, lisait. Alors que
croyez-vous qu’il fît sur la sinistre charrette ? Le plus
souvent, les condamnés criaient, pleuraient, priaient,
haranguaient le peuple ou le maudissaient. Le plus
grand esprit français du siècle dernier ? Il lisait.

    Étrangement, on ne lui avait pas lié les mains. Ultime
faveur concédée par le bourreau ? Peut-être Sanson,
fût-ce par respect, pitié ou admiration, s’était-il accommodé d’une entorse au règlement pour permettre àson hôte le plus prestigieux de terminer sa lecture. Il
était donc écrit que le plus grand esprit français du
siècle dernier, dont la vie avait été entièrement vouée
au culte

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