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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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l’antique.
Je ne peux m’empêcher, quand je suis seul, la nuit le
plus souvent, de les réciter à voix basse :

                Magellan, fils du Tage, et Drake et Bougainville

                    Et l’Anglais dont Neptune aux plus lointains climats

                    Reconnaissait la voile et respectait les pas.

    Ou encore :

                Ainsi le jeune amant, seul, loin de ses délices,

                    S’assied sous un mélèze au bord des précipices,

                    Et là, revoit la lettre où, dans un doux ennui,

                    Sa belle amante pleure et ne vit que pour lui.

    Mais aussi :

                Des lèvres d’une belle un seul mot échappé

                    Blesse d’une trace profonde

                    Le cœur d’un malheureux qui ne voit qu’elle au monde.

    Et puis il y a ceux que vous écrivîtes dans les jours,
dans les heures peut-être, précédant votre rendez-vous
avec le bourreau. Est-ce parce qu’ils sont les plus tragiques qu’ils me semblent les plus beaux ?

                Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyr

                    Animent la fin d’un beau jour,

                    Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre.

                    Peut-être est-ce bientôt mon tour.

    Ces vers, vous les avez écrits en prison, sur un carnet
de vélin imbibé de larmes caché dans le linge que vous
faisiez passer à notre père avec la complaisance du
gardien. C’est là-bas, à Saint-Lazare, que vous fîtes la
rencontre d’Aimée de Coigny, ci-devant duchesse de
Fleury. Elle était jeune, belle, insouciante : il n’en fallait pas plus pour qu’elle devînt votre muse. Pour elle,
vous composâtes un poème sobrement intitulé La Jeune
Captive , bien que La Jeune Catin eût été plus approprié.
La moitié des gentilshommes de Paris lui était passée
dessus, l’autre moitié attendait son tour. Mais enfin,
elle n’était pas tout à fait dépourvue d’esprit. L’anecdote est connue : des années plus tard, à l’Empereur
qui lui avait demandé en public si elle « aimait toujours
autant les hommes », elle aurait répondu : « Oui, sire,surtout lorsqu’ils sont bien élevés. » Avez-vous trouvé
du réconfort dans les bras de cette étrange créature
qui cachait sa véritable nature de gourgandine sous des
airs de femme du monde ? Je l’ignore. Mais je l’imagine volontiers batifoler en compagnie de butors n’entendant rien aux choses de l’esprit. Je l’imagine – et
dois-je l’avouer ? cela me réjouit – se moquant de vos
vers, de ces vers que vous lui prêtiez, qui célèbrent sa
jeunesse éternellement figée – car le temps, ce despote,
ne flétrit pas les mots, et les vôtres, cher André, figurent
parmi les plus beaux de la langue française – là-haut,
tout là-haut, ils côtoient ceux de Corneille et de Du
Bellay :

                L’épi naissant mûrit de la faux respecté ;

                    Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été

                    Boit les doux présents de l’aurore ;

                    Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,

                    Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,

                    Je ne veux point mourir encore.

    La Jeune Captive fut publié dans la Décade philosophique du 20 nivôse an III. Comment parvint-il à son rédacteur en chef ? Je l’ignore. J’imagine que la vile peccamineuse dont vous aviez immortalisé la jeunesse s’en
était procuré une copie. Le succès fut tel que, dans les
semaines qui suivirent, pas un jour ne se passa sans
qu’on me priât d’exhumer les poèmes que je pouvais
avoir en ma possession. Le plus souvent, j’éludais les
requêtes, chassais les importuns, répondais à côté.

    En privé, je fis lire quelques-uns de vos vers à mesamis – Fontanes, Joubert, Pauline de Beaumont, qui
devait s’éteindre plus tard à Rome dans les bras de
Chateaubriand. Tous vous couvraient de louanges, et
le vicomte lui-même, dans son piètre Génie du christianisme , vous rendit un bel hommage : vous aviez, écrivit-il, un rare talent dans l’églogue, et l’on trouvait dans
vos poèmes des

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