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Tu montreras ma tête au peuple

Tu montreras ma tête au peuple

Titel: Tu montreras ma tête au peuple Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François-Henri Désérable
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spectateurs
scandant mon nom pendant qu’ils portaient Talma et
Mademoiselle Vestris en triomphe ? Des larmes de
fierté qui coulaient sur les joues de nos parents quandles habitués du Procope m’applaudissaient à tout
rompre ? De Danton proclamant que « si Figaro avait
tué la noblesse, Charles IX tuerait la royauté » ? De Desmoulins s’enthousiasmant : « Cette pièce-là avance
plus nos affaires que les journées d’octobre » ? Bien des
années ont passé. Et pourtant, lorsqu’il m’arrive d’y
repenser, un frisson d’extase me parcourt l’échine et je
regrette cette époque bénie : les rêves d’hier n’étaient
pas encore les désillusions d’aujourd’hui.

    Là-bas, en Angleterre, vous trépigniez d’impatience.
La grande affaire se jouait sans vous, presque sous vos
yeux, et vous ne pouviez souffrir de rester plus longtemps simple spectateur, à gratter du papier pour un
traitement de misère. Vous fîtes votre retour en France,
acquis aux idées de la Révolution.

    Mais très vite, cette Révolution que vous aviez appelée
de vos vœux était devenue excessive à vos yeux. Il
fallait agir, pensiez-vous, comme si elle était finie, car
sinon elle ne finirait jamais. Vous le fîtes savoir, vous
n’auriez pas dû : les Cassandres ne gagnent jamais rien
à ce que leurs funestes prédictions soient connues.

    *

    C’est en parcourant la liste des victimes de la veille
dans Le Journal du soir que, le 8 thermidor, j’appris votre
exécution. Je fus saisi par l’effroi, restai longtemps figé
le papier dans les mains, et me mis soudain à trembler.
Je ne pouvais pas y croire, je ne voulais pas y croire,
j’espérais de tout cœur que le rédacteur s’était trompé,qu’il s’agissait d’une terrible méprise, mais je dus bientôt me résoudre. De rage, je déchirai le journal.

    Apprendre votre mort fut une souffrance ; l’annoncer à notre père un supplice. Il vous aimait tant,
André. Si notre mère me vouait un amour inconditionnel, les faveurs de notre père vous étaient acquises
entièrement. Vous étiez son fils chéri, André, son
confident. Lui faire part de votre mort, c’était le faire
mourir aussi.

    L’Homme naît, meurt, et entre deux que fait-il ? Il
parle. Au commencement était le Verbe. L’Homme a cru
pouvoir approcher les cimes, défier Dieu, traiter d’égal
à égal avec lui, le tutoyer. Dieu lui a fait payer son
audace à Babel, et depuis, l’Homme n’a eu de cesse
de vouloir se venger : puisque le Verbe est en Dieu ,
puisque le Verbe est Dieu , c’est par la force du Verbe que
l’Homme se hisserait à la hauteur de Dieu, et c’est par
la force du Verbe qu’il retrouverait ce moment unique,
entre Cicéron et Marc Aurèle, où les dieux n’étant plus
et le Christ pas encore, l’Homme seul a été. Depuis, il
bavarde, palabre, pérore, noie le monde sous un flot
de paroles. Lui aussi veut son Déluge, et c’est un déluge
de mots.

    Il passe donc sa vie à se réfugier dans les mots, à s’y
blottir, parfois même à s’y empêtrer – pour dire quoi ?
Rien, le plus souvent. Potins, verbiages, cancans. Et
voilà que lorsqu’il a enfin quelque chose à dire, lorsque
les mots, d’ordinaire vides de sens, serviteurs dociles,
ne sont plus là pour eux-mêmes mais qu’ils viennent
au secours de sa pensée, voilà qu’ils ne daignentplus sortir de sa bouche. C’est ce qui m’est arrivé ce
soir-là.

    Pour la première et peut-être pour la seule fois de
ma vie, les mots me manquèrent. J’avais beau rassembler mon courage, je ne pus prononcer qu’une seule
parole. Comme si un euphémisme pouvait atténuer la
douleur, je murmurai simplement :

    — André vient de paraître au tribunal.

    Le visage de notre père se décomposa.

    — Eh bien ?

    Je gardai le silence. Les larmes me vinrent aux yeux.
Il comprit.

    Il y a pire que de voir quelqu’un pleurer : voir
pleurer son père. Il se couvrit le visage des deux mains
et dit :

    — Les scélérats ! Ils m’avaient promis ! Ils m’avaient
promis !

    Que lui avait-on promis ? Qui ? Quand ? En quelle circonstance ? Soudain, je retrouvai l’usage de la parole et
le pressai de questions.

    Quand la source de ses larmes fut tarie, il bredouilla
d’une voix chevrotante :

    — Je ne pouvais pas voir André à Saint-Lazare, je...
je n’avais pas l’autorisation... Alors je suis allé trouver
Barère pour... pour le prier d’intervenir en sa faveur. Il
m’a

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