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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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yeux » les gens dans les barques. « Nous voici enfin parmi nos amis », confia-t-elle à son époux.
    Ils étaient certes parmi leurs amis. Mais un mur invisible les empêchait de les toucher.
    Vers dix heures, les responsables du service d’immigration montèrent à bord et commencèrent à examiner les permis de débarquement délivrés par le colonel Benitez, ainsi que les cartes de débarquement. Ils n’apposèrent la lettre «  R  » que sur vingt-six d’entre elles. C’était le signe autorisant la descente à terre.
    Une demi-heure plus tard, les élus quittaient le Saint-Louis . Tous étaient majoritairement des citoyens cubains, ou des réfugiés espagnols détenteurs d’un visa d’immigration en bonne et due forme. À peine s’étaient-ils retirés que les militaires envahirent le pont A et prirent position à hauteur de l’échelle de coupée et le long du bastingage.
    En quelques heures, le Saint-Louis , navire de luxe de la Hapag, venait de se transformer en prison.

12
    Milton Goldsmith raccrocha son téléphone.
    Il avait passé près d’une heure avec Joseph C. Hyman, le directeur exécutif du Joint à New York, ne ménageant aucun détail, dressant un portrait aussi précis que possible de la tragédie qui était en train de se dérouler dans la rade de La Havane.
    « Alors, s’informa Laura Margolis. Qu’a-t-il dit ?
    — Il nous envoie immédiatement deux de ses assistants. Je les connais de réputation. Ce sont des personnes extrêmement qualifiées.
    — Qui sont-elles ?
    — Lawrence Berenson et Cecilia Razovsky. Berenson est avocat de métier. Je pense qu’il sera tout à fait apte à négocier une porte de sortie avec les autorités. Une fois que les passagers débarqueront, Cecilia les prendra en charge. De plus, il semblerait que Berenson soit un ami personnel de Batista. S’il le souhaite, le général – bien que silencieux pour l’instant – pourrait tout faire basculer en notre faveur. »
    Laura poussa un soupir.
    « Un espoir. Il y aurait donc un espoir.
    — Nous devons y croire. D’autant que… »
    L’expression de Milton se rembrunit tandis qu’il annonçait :
    « J’ai reçu à l’aube un coup de fil de Clasing. Le siège de la Hapag l’aurait contacté pour exiger purement et simplement le retour du Saint-Louis si le débarquement s’avérait définitivement compromis. »
    La jeune femme vacilla sur ses jambes.
    « Ce n’est pas possible ! Vous imaginez quelle sera la réaction des passagers ?
    — Je n’ose même pas. »
    Il prit une brève inspiration et conclut :
    « De toute façon, nous ne pouvons rien faire de plus pour l’instant, sinon patienter et surveiller la tournure que prendront les événements.
    — Patienter… Ce n’est pas à moi qu’il faudrait le dire, mais aux neuf cents personnes enfermées sur ce bateau, à quelques mètres de la côte. »
     
    Le téléphone sonna dans le bureau du président Brù. Il décrocha et eut aussitôt une expression de colère. C’était Benitez.
    « Señor présidente , pardonnez-moi de vous importuner, mais… »
    Brù n’eut pas l’ombre d’une hésitation. Il raccrocha.
    Presque aussitôt une nouvelle sonnerie retentit. Si c’était encore le colonel, Brù se jura qu’il le ferait mettre aux arrêts. Il n’eut pas le temps de se détendre en reconnaissant la voix du Dr Juan Remos, son secrétaire d’État. Dès que celui-ci lui annonça la raison de son appel, sa mauvaise humeur refit surface.
    « Monsieur le président, c’est à propos du Saint-Louis.
    —  Je vous écoute.
    — J’ai réfléchi à la situation. Bien qu’étant respectueux du décret que vous avez eu la sagesse de promulguer, je me disais qu’étant donné les circonstances, nous pourrions exceptionnellement envisager de passer outre en invoquant la “clause morale”. »
    Brù éprouvait un certain respect à l’égard de son secrétaire et pour l’intégrité dont il avait toujours fait preuve ; ne fût-ce qu’en plaidant la fermeture du bureau de Benitez. Aussi s’informa-t-il courtoisement :
    « Qu’entendez-vous par “clause morale” ?
    — Voilà un millier de personnes qui ont quitté leur pays en abandonnant tout derrière elles. Un retour à Hambourg serait vécu comme une tragédie. La presse internationale va tôt ou tard s’emparer de l’affaire, l’opinion mondiale se retournera contre nous et l’image de notre pays, votre image, s’en trouvera

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