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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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frappant les cuisses.
    « Vous voulez rire, Herr Speer ! Jamais, jamais aucun avion ennemi ne survolera l’Allemagne ! Jamais ! Et pour ce qui est de votre projet d’aigle, je ne suis pas d’accord. Il faut changer cela ! Ce n’est pas la croix gammée qu’il doit tenir, mais le globe terrestre ! Pour couronner le plus grand édifice du monde, il ne peut y avoir que l’aigle dominant le globe ! »
     
    Ce samedi 27 mai, les passagers vivaient leur première nuit cubaine. À l’effervescence qui avait régné toute la journée avait succédé un silence lourd, insupportable. À l’heure du dîner, la salle à manger demeura quasi déserte. Même le rire des enfants s’était tu. Que se passait-il donc ? Ils étaient à quelques encablures du havre tant espéré. La liberté était à portée de main. Et voilà qu’un abîme s’était creusé qui paraissait tout à coup infranchissable. Non, songea Dan Singer, les choses ne pouvaient en rester là. Mañana. Demain tout rentrerait dans l’ordre. Mañana.
    Bien peu d’entre eux dormirent, cette nuit-là. Refusant de s’allonger ou même de quitter ses vêtements, Max Loewe était resté pendant des heures assis au bord de son lit, sursautant au moindre son.
    Ils n’avaient pas débarqué. On les gardait à bord. On les garderait jusqu’à l’arrivée des sections d’assaut.
    Lorsque le soleil refit son apparition dans le ciel des Caraïbes, les passagers regagnèrent le pont par petits groupes.
    Un spectacle étonnant les attendait. Autour du bateau, une nuée d’embarcations mouchetaient la surface de l’eau. À leur bord, des marchands de tout et de rien proposaient à la volée qui des bananes, qui des noix de coco, qui des cigares ou des colifichets.
    « C’est incroyable, commenta Ruth Singer. On croirait un marché flottant. »
    Mais outre les colporteurs, on pouvait apercevoir des dizaines de barques sur lesquelles se tenaient des parents, frères, sœurs, pères ou mères qui avaient fait spécialement le déplacement des États-Unis à La Havane.
    Brusquement, un cri domina le brouhaha environnant. Il avait été poussé par Renate Aber. Elle secoua frénétiquement le bras de sa petite sœur Evelyin en hurlant : « Regarde ! Regarde ! Dans ce canot ! C’est papa ! » Evelyin écarquilla les yeux. En effet, Max Aber se tenait debout entre deux autres personnes et leur faisait de grands signes de la main. Il leur disait quelque chose. Il leur parlait, mais les mots se perdaient dans l’air.
    Les deux enfants tendirent leurs bras vers leur père dans un mouvement spontané, comme si elles espéraient pouvoir l’atteindre, le toucher, se blottir enfin contre lui. Et lui faisait de même. Un an qu’ils ne s’étaient pas revus. Son canot était ballotté contre la coque. Le médecin aurait voulu s’accrocher à la paroi, s’élever vers ses filles.
    « Je vous aime ! hurla-t-il. Je vous aime ! »
    Des larmes se mirent à couler sur les joues d’Evelyin. Elle cria :
    « Je veux descendre. S’il vous plaît. Je veux mon papa ! »
    Vera Ascher, qui s’était occupée des deux filles durant tout le voyage, essaya de la calmer.
    « Tu vas le retrouver. Nous allons bientôt descendre. C’est une question d’heures. Tu vas le retrouver. »
    Maintenant, d’autres personnes avaient rejoint Max Aber. Elles aussi criaient, hélaient les silhouettes familières alignées tout au long du bastingage.
    M me  Bardeleben fut la première à reconnaître son mari. Elle souleva sa fille, Marianne, dix ans, afin qu’elle pût le voir. La veille au soir, elle l’avait emmenée chez le coiffeur, pour la faire belle rien que pour cet instant. Dans un état d’extrême excitation, Marianne se dressa fièrement pour montrer à son père sa nouvelle coiffure. Mais la frustration était immense. La voyait-il vraiment ?
    Ruth Singer saisit la main de Dan et éclata en sanglots. Ces scènes déchirantes venaient de raviver le souvenir de sa fille Judith et de ses petits-enfants. Elle hoqueta : « Si tous ces gens qui sont si proches des leurs n’arrivent pas à les toucher, qu’en sera-t-il de notre fille distante de milliers de kilomètres ? La retrouverons-nous jamais ? »
    M me  Spanier entendit quelqu’un crier : « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien. »
    « Évidemment ! lança-t-elle à son mari. Que veulent-ils dire ? »
    Fritz Spanier ne répondit pas.
    Rosemarie Bergmann « embrassait avec ses

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