Un bateau pour l'enfer
décret n° 937] et que celle-ci s’applique de manière rétroactive ou non importait peu.
[…] Il fallait s’attendre à ce que les amis, les parents des personnes interdites de séjour ne tardent pas à ameuter la presse pour la mettre au courant de ce qui était en train de se dérouler à La Havane, et que ce serait bien fâcheux pour le gouvernement cubain.
[…] Le secrétaire m’a répondu qu’il partageait totalement mon appréhension, et il a ajouté qu’à titre personnel il estimait que les passagers devaient être admis à débarquer dans la mesure où ils étaient capables de fournir des garanties appropriées pour ne pas qu’ils soient à la charge du gouvernement. […] Il faudrait aussi que des comités de secours assurent de subvenir à leurs besoins financiers jusqu’au moment de leur départ pour une autre destination.
[ … ] J’ai dit qu’il y aurait peu de difficultés à obtenir ces garanties, tout en précisant une fois encore que je n’avais reçu aucune instruction me permettant de l’affirmer. [ … ]
[ … ] Le secrétaire a conclu notre discussion en déclarant que le sujet serait débattu lors d’une réunion du cabinet prévue pour demain et qu’en attendant l’issue de la réunion, le départ du Saint-Louis serait retardé. Mon impression finale est que les autorités cubaines sont de plus en plus conscientes de leurs impérities.
L’ambassadeur
Après plusieurs heures de recherches, Max Aber réussit enfin à mettre la main sur José Estedes au bar de l’hôtel Sevilla-Biltmore. Il n’était pas loin de midi. Les yeux rougis de larmes, le médecin exposa la situation. Pour la première fois, il se confia sans rien masquer de sa vie personnelle. Il dévoila toute la vérité, sans pudeur. Il parla de sa femme, Lucie, qui l’avait abandonné pour un autre homme, du parcours infernal qui l’avait conduit jusqu’à Cuba, de ses deux filles qui restaient sa seule raison de vivre.
Plus tard, Estedes devait déclarer :
« Le docteur était en larmes. Il m’est apparu comme un homme fin et cultivé, doué de grandes capacités. Il était en très mauvais état. »
Sans attendre, le Cubain emmena Max chez le ministre de la Défense, le général Rafaël Montalvo, ami personnel de Batista. En quelques mots, il exposa l’affaire au ministre.
Quand il eut fini, Montalvo approuva d’un geste de la tête et fit appeler deux officiers. L’un était le capitaine Gomez Gomez, membre de l’armée ; l’autre le capitaine Eiturey, de la police cubaine. Le général ordonna aux deux hommes d’escorter le Dr Estedes et Max Aber à bord du Saint-Louis et de récupérer les enfants.
Quelques minutes plus tard, le groupe arriva au port dans la voiture officielle du général Montalvo. Ils se frayèrent un chemin jusqu’au bout de la jetée qui était noire de monde. Les deux capitaines avisèrent des policiers en faction, et exigèrent d’eux que l’on mît une vedette à leur disposition.
Ils n’eurent pas à patienter bien longtemps. Un canot vint s’amarrer au quai.
« C’était un petit canot à moteur avec un drapeau, observa Max Aber, conduit par un énorme Noir qui n’avait que deux dents. »
Lorsqu’ils arrivèrent à hauteur du Saint-Louis , le capitaine Schröder se tenait en haut de l’échelle de coupée, entouré par des policiers et un groupe de passagers.
La suite, c’est Max Aber qui devait en faire le récit :
« J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un nazi : il était en uniforme. Il fit claquer ses talons et nous dit “Bonjour”. J’étais effaré. Ensuite, il s’entretint avec le capitaine Eiturey dans un espagnol approximatif. Je n’ai pas saisi un seul mot. J’ai simplement dit : “Je suis venu chercher mes filles. Elles ont des visas.” Le capitaine Schröder m’a répondu : “Oui, vous pouvez les emmener.” Il était très gentil et chaleureux. Lorsque Evelyin et Renate me furent amenées, elles étaient en maillot de bain et semblaient plus intéressées par le bateau, où elles s’amusaient bien, que par ma présence. Tandis qu’elles repartaient se changer, les passagers s’attroupèrent autour de moi et m’assiégèrent de questions : “Quand débarquons-nous ? Pouvez-vous nous aider ? Que se passe-t-il à La Havane ?” Je leur dissimulai mes doutes et m’efforçai de leur donner un peu de réconfort. Je leur indiquai que d’autres réfugiés allemands avaient été
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