Un bateau pour l'enfer
monde venaient des quatre coins de la planète pour honorer l’homme qu’elle adulait. De toute façon, tout valait mieux que les jours de solitude absolue et de doute d’autrefois qui l’avaient menée à deux reprises au bord du suicide.
Elle murmura :
« Je n’exige rien. Je n’exigerai jamais rien. »
Et Eva Braun quitta le lit où elle était allongée pour aller enlacer son dieu.
Tandis qu’il entrait dans l’enceinte du port, l’agent Robert Hoffman avait du mal à maîtriser sa fébrilité. Il avait réussi à obtenir des autorités le droit de monter à bord du Saint-Louis . À présent, armé de sa canne creuse dans laquelle il avait dissimulé les microfilms, il arrivait en vue du barrage de police. La foule était toujours aussi dense. Aucun agent américain n’était en vue. Convaincus sans doute que l’accès au navire était impossible, ni Rowell ni Barber n’avaient estimé nécessaire de monter la garde.
Hoffman brandit son laissez-passer à l’officier responsable. Satisfait, l’homme l’invita à prendre place sur le canot qui faisait la navette entre le port et le Saint-Louis.
Encore un obstacle de franchi, songea Hoffman. Il ne restait plus à espérer qu’aucun grain de sable ne vînt compromettre la dernière étape de sa mission.
Un instant plus tard, il accédait à la passerelle et demandait à rencontrer le capitaine. Lorsque Schröder se retrouva face au personnage, sa première impression fut une sensation de malaise. Il se dégageait de cet homme quelque chose de violent, voire de malsain. Les présentations faites, Schröder déclara :
« Je présume que vous m’apportez des nouvelles de Clasing.
— Désolé. Je n’ai rien de nouveau à vous annoncer.
— Vous voulez dire que la situation est toujours au point mort ? Et que les passagers… »
Hoffman l’interrompit brusquement.
« Le problème des passagers ne me concerne pas, capitaine. Je suis ici pour d’autres raisons. »
Le capitaine répéta, incrédule :
« Le problème des passagers ne vous concerne pas ? Que je sache, vous êtes l’adjoint de Clasing, vous êtes un responsable de la Hapag !
— Ce n’est que partiellement vrai. J’occupe une autre fonction. Elle est prioritaire.
— Je vous écoute. »
D’une voix sèche, Hoffman déclina son identité de chef du réseau de l’Abwehr à Cuba et crut utile de préciser que, en cas de non-coopération du capitaine, il en référerait à l’amiral Canaris lui-même.
Ébranlé, Schröder interrogea :
« Très bien. Que souhaitez-vous ?
— Je veux m’entretenir avec l’Ortsgruppenleiter.
— L’Ortsgruppenleiter ? Pour quelle raison ?
— Cela ne vous regarde pas. »
Schröder, le souffle coupé, répliqua :
« Vous semblez oublier un détail, Herr Hoffman. Ici c’est moi qui décide ! »
L’agent resta de glace.
« Jusqu’à un certain point, capitaine. Vos prérogatives ont une limite dès lors qu’il s’agit d’une affaire concernant la sécurité du Reich. Or, soyez-en convaincu, il s’agit bien de cela.
— La sécurité du Reich ! Soyez plus clair.
— Je n’ai pas à l’être. Et vous n’avez pas à en savoir plus. Secret d’État. Et, je vous le répète, vous n’avez pas intérêt à me compliquer la tâche. Vous ne pouvez imaginer quelles seraient les conséquences ! »
Une expression cynique apparut sur son visage.
« Vous avez encore de la famille en Allemagne, Herr Kapitän ? N’est-ce pas ? »
Schröder se sentit prêt à sauter au cou du nazi. Mais il n’en fit rien. L’expérience acquise au fil du temps lui souffla que cet homme ne bluffait pas. Il serra les dents et questionna :
« Et ensuite ?
— La suite me regarde, capitaine. Voulez-vous faire convoquer le Leiter ? »
Il y eut un long silence au cours duquel les deux hommes s’affrontèrent du regard.
« Très bien, finit par annoncer Schröder. Allez voir le commissaire de bord. Il se chargera de vous mettre en rapport avec cet individu. »
Et Hoffman quitta la cabine.
Schröder le regarda partir la mort dans l’âme. Certes, l’homme avait clairement défini l’importance de sa position. Il ne faisait pas partie de ces fantoches qui, à l’instar de Schiendick, se prenaient tous pour Goebbels ou Canaris. Néanmoins, sur ce navire, c’était Schröder et lui seul qui avait tous les pouvoirs. Seulement voilà, quelles que soient sa répulsion à l’égard des nazis
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