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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Sinoué
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et la sympathie qu’il éprouvait pour ses passagers, il existait une ligne jaune qu’il pressentait ne pouvoir franchir sous peine des pires conséquences pour les siens.
    Abattu, il se laissa choir sur son siège et se prit la tête entre les mains.
     
    L’espion de l’Abwehr trouva le commissaire de bord dans son bureau et lui tint, à quelque nuance près, le même discours qu’il avait tenu à Schröder. Il conclut par :
    « J’ai l’approbation du capitaine. »
    Müller répliqua sèchement :
    « Alors, allez-y. Le maître d’équipage saura où le trouver.
    — Pas question ! Faites-le convoquer ici.
    — Mais…
    — Faites ce que je vous dis ! »
    La rage au cœur, le commissaire s’exécuta.
    Lorsque Otto Schiendick fut introduit dans la cabine, Hoffman exigea qu’on les laissât en tête à tête.
    Une fois encore, le commissaire ne put qu’obtempérer.
    Et les deux agents se retrouvèrent face à face.
    Hoffman dévisagea longuement son interlocuteur et fut – comme devait l’indiquer par la suite le rapport qu’il avait adressé à l’Abwehr – « peu impressionné ».
    Que se dirent les deux hommes ? Quelles informations échangèrent-ils ? Nous ne pouvons que l’imaginer. Schiendick dut certainement défouler toute sa rancœur à l’égard du capitaine et du commissaire de bord, ne ménageant ni les accusations ni les critiques qu’il avait soigneusement notées dans son carnet noir. De son côté, Hoffman avait dû écouter ces diatribes d’une oreille distraite, très vite conscient que le mouchard ne possédait aucun élément réellement sérieux à l’encontre de ses supérieurs. Lui confia-t-il ensuite les microfilms ? Sans aucun doute. Après tout, n’était-ce pas la raison essentielle de leur rencontre ?
    À l’instant où ils se séparaient, Schiendick crut bon de révéler qu’au même moment une réunion se tenait à bord, entre Milton Goldsmith et le comités des passagers.
    Hoffman adopta une expression outrée.
    « Un comité de passagers ?
    — Oui, confirma le steward. Il a été créé à l’instigation du capitaine. »
    L’agent de l’Abwehr haussa les épaules.
    « Je m’en fiche ! Comité ou non, ces Juifs repartiront là d’où ils sont venus. Et cette fois, il n’y aura pour les accueillir ni caviar ni transats. Ce sera leur dernier voyage… »
     
    Otto Schiendick avait dit vrai lorsqu’il avait mentionné la réunion. Elle avait commencé une heure plus tôt dans le fumoir.
    Bien que profondément mal à l’aise face à ces six visages tendus en quête d’une once d’espérance, Milton Goldsmith s’était exprimé sur un ton aussi franc que direct. L’heure n’était plus aux temporisations. Il détailla l’ensemble des éléments en présence, le rôle joué par Benitez, les conflits d’intérêts au sein même du gouvernement cubain, la position incertaine du président Brù, l’animosité du peuple à l’égard des réfugiés. Il conclut en soulignant que malgré l’arrivée imminente des représentants du Joint de New York, à savoir Lawrence Berenson et Cecilia Razovsky, il n’était guère très optimiste.
    Alors seulement les membres du comité mesurèrent toute l’ampleur de la tragédie dans laquelle l’entêtement d’un président et la gredinerie d’un directeur de l’Immigration les avaient plongés.
    Josef Joseph fut le premier à rompre le silence angoissant qui s’était installé à la fin de l’exposé.
    « Finalement, nous avons été bel et bien bernés. Manipulés par les uns, exploités par les autres. Et dans cette histoire, la Hapag n’est pas en reste. Ils ont été bien contents d’accepter notre argent, conscients qu’ils étaient que nous ne débarquerions jamais. C’est ignoble ! »
    Goldsmith fit observer avec lassitude :
    « Je sais. Mais il ne sert à rien de ressasser des faits sur lesquels nous ne pouvons plus agir. Réfléchissons plutôt au moyen de trouver une porte de sortie. Il y va de l’avenir de neuf cents personnes. »
    Il s’enquit :
    « Quelqu’un a-t-il réfléchi à une solution ? »
    Ils secouèrent la tête négativement. Jusqu’à cette heure, même les plus pessimistes d’entre eux n’avaient pu imaginer que ce voyage prendrait une telle tournure. Alors Milton Goldsmith reprit la parole.
    « Dans ce cas, permettez-moi de vous soumettre un projet. »
    Le Dr Max Weis rapporta l’essentiel de la proposition. Voici ce qu’il

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