Un bateau pour l'enfer
finir. Il le faut. »
Alors que le crépuscule tombait sur La Havane, installé à la fenêtre de sa chambre, il put constater que Clasing n’avait pas menti. L’ Orduna s’éloignait du port. Dans la demi-heure qui suivit, un autre navire fit son apparition. C’était le Flandre . Et ainsi que l’avait fait son prédécesseur britannique, le bateau français accosta. Épuisé par des nuits sans sommeil, Max se jeta sur son lit sans même chercher à imaginer combien de passagers cette fois avaient été autorisés à fouler le sol cubain. Demain, il irait prendre contact avec son bienfaiteur, José Estedes. Il se mettrait à genoux s’il le fallait. Mais il arracherait ses filles aux griffes du Saint-Louis.
13
Mardi 30 mai 1939
Conversation avec le Dr Juan Remos, secrétaire d’État
du gouvernement cubain, rapportée au département d’État par l’ambassadeur des États-Unis
[Extraits]
[ … ] Au cours d’une conversation qui s’est déroulée ce jour avec le secrétaire d’État au cours de laquelle nous nous sommes entretenus de divers sujets, j’ai eu l’occasion de m’enquérir « officieusement » du cas des réfugiés allemands juifs se trouvant actuellement à bord du Saint-Louis dans le port d e La Havane. [ … ]
[ … ] J’ai expliqué au secrétaire de la manière la plus claire que mes investigations ne répondaient à aucune instruction officielle, mais qu’elles étaient inspirées par le souci de pouvoir fournir des réponses aux interrogations dont le consul général et moi-même faisons l’objet ; interrogations posées tant par les parents des réfugiés vivant aux États-Unis que par des personnes ayant souscrit des fonds pour aider au transport des passagers et assurer leurs besoins pendant la durée de leur séjour à Cuba .
[…] Le secrétaire d’État s’est dit profondément concerné par cette affaire, mais il a précisé que la seule question dont était directement responsable son département était de savoir si les officiers cubains de l’immigration avaient correctement fait leur travail en accord avec la loi. […] Il a ensuite dénoncé très ouvertement les pratiques pernicieuses pratiquées par le colonel Benitez, directeur de l’Immigration. […] Il a dit, en outre, qu’il avait mis en garde les compagnies maritimes, leur recommandant de ne plus vendre de billets aux voyageurs qui ne seraient pas en possession d’un visa en bonne et due forme, mais qu’apparemment ces compagnies, et particulièrement la Hapag, n’avaient pas tenu compte de cet avertissement. C’est ce laxisme qui a contribué grandement aux complications actuelles. […] Il a clairement indiqué qu’il avait toujours été formellement opposé à ce type d’agissements.
[…] Je lui ai alors demandé s’il était conscient que la plupart des passagers, aussi bien sur le Saint-Louis que ceux qui se trouvaient sur d’autres bateaux, avaient été obligés de s’acquitter d’un billet aller-retour, payé en francs, en dollars ou en livres sterling. Et que dans le cas où le billet retour n’était pas utilisé, le remboursement de la différence se ferait en Reichsmarks. Le secrétaire m’a répondu qu’il n’était pas au courant de ce détail.
[…] J’ai une fois de plus jugé utile de préciser que j’agissais sans instructions officielles d’aucune sorte, uniquement motivé par des considérations humaines. J’ai néanmoins estimé nécessaire de rappeler à son attention les termes de la lettre circulaire envoyée par le président des États-Unis à toutes les nations concernées par le problème des réfugiés. Bien que conscient du facteur humanitaire, le président a clairement indiqué qu’aucune nation n’avait l’obligation d’accueillir des réfugiés qui seraient en contravention avec sa législation interne.
[…] Le secrétaire m’a assuré qu’il se souvenait parfaitement de cette circulaire.
[…] Je lui ai alors dit que j’étais surtout préoccupé par les répercussions inopportunes qui ne manqueraient pas de découler des pratiques qu’il avait très justement lui-même critiquées. Par exemple, le fait qu’un fonctionnaire officiel, faisant partie du gouvernement cubain, se soit octroyé le droit de vendre des visas à cent soixante dollars chacun et que les passagers en possession de ces visas se voyaient refuser l’accès au territoire cubain. Que l’impasse actuelle soit la conséquence d’une loi [le
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