Un bateau pour l'enfer
acceptés. Ils pleuraient. Je ne voulais pas les décourager. Renate et Evelyin revinrent, vêtues de robes de dentelle et de manteaux légers. Lorsqu’elles descendirent dans le canot, Evelyin s’agrippa à moi, épouvantée par l’énorme timonier noir et édenté. C’était la première fois de sa vie qu’elle voyait un homme de couleur. Ce fut seulement une fois à terre, que me revint une phrase étrange que ma femme m’avait écrite dans une lettre postée d’Allemagne : elle me recommandait de fouiller soigneusement le manteau neuf de Renate. J’ai tâté la doublure. Des bijoux étaient cousus dans les ourlets. »
Entre-temps, les craintes que l’ambassadeur des États-Unis avait formulées lors de son entretien téléphonique avec Juan Remos étaient en train de se confirmer ; les premiers journalistes commençaient à débarquer à La Havane. En apprenant la nouvelle, un mouvement d’humeur s’empara du président Brù. Dieu sait ce que l’on allait raconter ! quelles critiques allaient s’abattre sur sa personne et son gouvernement. Qu’importe ! Il restait fermement convaincu qu’il ne devait pas faillir. Non seulement il avait le soutien du peuple, mais – ce qui le confortait encore plus – il y avait aussi l’absence de réaction du colonel Batista. Comment ne pas l’interpréter comme une sorte d’approbation tacite ? La seule préoccupation de Brù concernait l’attitude qu’adopteraient les membres de son cabinet. La réunion était prévue pour le lendemain, 31 mai, onze heures. Approuveraient-ils ou non la proposition qu’il comptait leur soumettre ?
« Quatrième jour dans le port de La Havane, note Erich Dublon. Au cours de notre voyage, un décret a été promulgué par le gouvernement cubain qui a profondément bouleversé la situation. Une rumeur circule qui laisse croire que l’affaire a pris désormais une tournure politique ; ce serait une question de prestige opposant différents ministères, ce qui complique encore plus les choses. […] Autour du Saint-Louis, amis et proches se croisent sur les flots. Ils nous interrogent sur l’ambiance qui règne à bord et s’inquiètent de savoir si nous disposons d’assez de vivres. Il semble que des bruits aient couru en ville à ce propos. Nous les rassurons du mieux que nous pouvons et dressons un portrait élogieux des services de la Hapag. En effet, nous ne manquons de rien pour l’instant et nous bénéficions du même traitement qu’en haute mer.
« Les stewards me font de la peine. Eux qui, après toutes ces journées de travail, se réjouissaient à l’idée de pouvoir descendre à terre sont privés de cette autorisation.
« La chaleur est éprouvante. Il nous faut maintenir le hublot ouvert et le ventilateur en marche constante pour que l’atmosphère soit supportable. »
Berlin, ce même jour
Il faisait nuit. Le Führer s’assura que personne ne l’observait et s’engagea dans le long corridor qui menait à l’ancienne chambre de l’infortuné Hindenburg. Il poussa la porte et entra. La principale décoration de la pièce était un grand portrait de Bismarck. La première chose qu’il vit fut un rideau entrebâillé. Il vociféra :
« Quel laisser-aller ! N’ai-je pas donné des ordres pour que les rideaux ne soient jamais ouverts, ni le jour ni la nuit ? »
Une petite voix de femme lui répondit :
« Je sais, mein Liebe , mais…
— Ne vous avais-je pas aussi interdit de sortir sans mon autorisation ?
— Je me suis juste rendue dans votre bibliothèque pour y chercher un livre à lire. Je…
— Vous ne comprenez pas ! Ma vie privée ne concerne que moi ! Hier encore vous avez commis une faute impardonnable. Vous m’avez appelé par mon prénom alors que je vous avais bien spécifié de ne jamais m’appeler en public autrement que mein Führer !
— Je suis confuse. Un moment de distraction.
— Je vous accorde déjà un grand honneur en acceptant que vous soyez présente lorsque j’accueille mes intimes. N’exigez pas plus ! »
La jeune femme acquiesça en silence.
Elle regrettait tant d’être consignée dans sa chambre lorsque des invités officiels arrivaient à Berchtesgaden ou à la chancellerie. Elle avait espéré connaître le président Hoover, le roi Carol de Roumanie, l’Aga Khan et surtout la duchesse de Windsor, avec qui elle était convaincue de partager bien des choses. Elle se consolait en se disant que les grands de ce
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