Un caprice de Bonaparte
avalent leur ratatouille ensemble, Bonaparte et Fourès, Fourès et Bonaparte ! ( Lui tapant sur l’épaule en riant ) : c’est au général de l’avoir sur ledos et non à nous... Quant à la façon dont il se débarrassera de lui, c’est son affaire, affaire au plus haut point personnelle !
Fin du deuxième acte.
TROISIÈME ACTE
SEPTIÈME TABLEAU
Trois mois plus tard. Cabinet de M e Descazes, avocat à Paris. Deux secrétaires. On frappe à la porte.
PREMIER SECRÉTAIRE.
Entrez !
FOURÈS, en civil, tenue qui lui va mal, visiblement vieilli, les favoris légèrement grisonnants.
Maître Descazes, s’il vous plaît ?
PREMIER SECRÉTAIRE.
Il doit rentrer d’un instant à l’autre. Puis-je, entre-temps...
FOURÈS, bref .
Non, je préfère attendre.
PREMIER SECRÉTAIRE, vexé .
Si vous voulez. ( Il le conduit dans l’antichambre, puis dit à son collègue. ) Quel butor ! Ça pue le militaireet le poisson pourri ! Sûrement mis à la réforme, ou pris la main dans le sac à l’intendance...
DEUXIÈME SECRÉTAIRE.
Non, une affaire conjugale. Il a les oreilles d’un cocu. En tout cas, un bien maigre morceau...
PREMIER SECRÉTAIRE.
Ne t’en fais pas, M e Descazes sale aussi les soupes maigres.
M E DESCAZES, entre et enlève son pardessus. Type dans le genre du Robert Macaire de Daumier, bavard emphatique.
Quid novi, amici ?
PREMIER SECRÉTAIRE.
Un client attend, un petit client.
M e DESCAZES.
Qui est-ce ?
PREMIER SECRÉTAIRE.
Ignoramus . N’a pas daigné se présenter. Ça sent la défroque.
M e DESCAZES.
Bon, faites entrer le délinquant. ( Fourès entre. ) Qu’y a-t-il à votre service, monsieur... ( Il attend que Fourès se présente .)
FOURÈS.
Je désire vous parler seul à seul.
M e DESCAZES, jette un regard significatif aux secrétaires qui se retirent en esquissant une grimace.
FOURÈS.
Par la Convention je connais votre nom comme étant celui d’un vieux républicain. Je suppose donc que vous êtes prêt à aider un citoyen qui veut défendre ses droits. Car j’espère qu’il y a encore des lois en France !
M e DESCAZES.
Dieu merci, oui, les lois sont revenues ! Fini le temps où trois cordonniers et deux tonneliers s’asseyaient devant une table avec Robespierre pour jouer au trictrac la tête de leurs concitoyens. Nous avons de nouveau des tribunaux réguliers et des cours d’appel. Oui, mon cher monsieur, soyez sans souci, l’ordre est enfin rétabli en France ! Voulez-vous, s’il vous plaît, m’exposer votre cas ?
FOURÈS.
Voici un mémoire. En bref, on m’a obligé de divorcer, contraint de signer l’annulation de mon mariage pour que je ne puisse rien contre le très honorable séducteur de ma femme.
M e DESCAZES.
Curieux ! Intéressant, très intéressant ! Mais, permettez, quel est le juge qui s’est prêté à cet abus ?
FOURÈS.
Le commandant du Caire. Et quand on est pris dans l’étau militaire il faut céder ou on vous broie les os.
M e DESCAZES.
Minute ! Vous dites le commandant du Caire : mais qui donc faisait fonction d’assesseur ?
FOURÈS.
Personne. Le commandant seul agissait comme juge, deux officiers servaient de témoins.
M e DESCAZES.
Ah ! Ah ! Une partie de cartes alors et non un tribunal. Et ces messieurs n’ont pas jugé utile de faire légaliser civilement cette étrange procédure ?
FOURÈS.
Non.
M e DESCAZES.
En ce cas, mon cher monsieur, j’ai le plaisir de vous informer tout de suite que cet acte de divorce est sans valeur, sans valeur comme les assignats de feu le roi ! Malgré cachets militaires, parafes et signatures, aux yeux de la loi, ce n’est qu’un simple chiffon de papier. Ces messieurs ont, une fois de plus, confondu la réquisition avec le droit : c’est de la même manière qu’ils se sont emparés des chevaux de selle que j’avais dans mon écurie. Eh bien ! mon cher monsieur, nous allons à notre tour les mettre au pas ces prétentieux et jevous promets que je vais m’en occuper avec énergie. Ça fera un beau procès, un procès véritablement républicain. Je saurai les ramener dans la limite du droit. Je leur tiendrai un langage qui fera s’agiter leurs plumets. Vous voyez ça d’ici ! Vous allez m’entendre ! En attendant, je vous le répète, ce divorce
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