Un caprice de Bonaparte
garde-à-vous, immédiatement !
FOURÈS.
C’est fini tout ça ! Si le général en chef abandonne lâchement son armée, un soldat a bien le droit d’ouvrir la bouche pour une fois ! Et moi je vous dis : ce n’est pas pour défendre la République que Bonaparte rentre, mais plutôt pour la prendre à la gorge ! Au nom de l’armée, je demande une enquête et exige que soit mis hors-la-loi le général Bonaparte déserteur !
DESCHAMPS, prend Fourès par le bras.
Sois raisonnable, Fourès !
DUPUY.
Un mot de plus et vous passez en cour martiale !
FOURÈS.
C’est au déserteur de passer en cour martiale et non pas aux idiots qui ont fait leur devoir ! Mieux vaut capituler ici, mieux vaut abandonner l’Egypte aux Anglais que la République à Bonaparte !
DUPUY.
C’est de la haute trahison. Donnez-moi votre épée !
FOURÈS, aux soldats.
A moi, camarades ! Tous avec moi ! Allez-vous laisser cet homme tromper la France comme il m’a trompé moi ? Non, n’est-ce pas ? A bas le dictateur ! En avant, camarades, il s’agit de notre République !
(Les soldats, devenus inquiets et intimidés devant la tournure des choses, reculent.)
DUPUY, à Fourès.
Votre épée ! Immédiatement !
FOURÈS, qui s’aperçoit que personne ne le suit jette son épée avec une expression de mépris sur son visage.
Voilà ma latte ! Faites de moi ce qu’il vous plaira ! ( Aux autres .) Lâches ! Contre moi tout le monde a du courage, contre lui, personne ! Le monde appartient aux coquins !
DUPUY, s’adressant à deux soldats.
Emmenez-le et surveillez-le ! ( Aux autres .) Retirez-vous tous ! ( Voyant que les soldats hésitent. ) En avant ou... ( Fourès est emmené par deux soldats. Les autres, maussades, mais craintifs, se retirent. Dupuy enlève son képi et s’éponge le front. A Deschamps : ) Tonnerre de tonnerre, ce Fourès a perdu la raison ! Il ne manquait plus que cela : une mutinerie fomentée par des officiers et la troupe nous imposant ses volontés. Il faut absolument faire un exemple !
DESCHAMPS.
Citoyen commandant, je vous en prie ! Ce pauvre Fourès sort de l’hôpital. Il a de la fièvre, ça se voit de loin. ( Baissant la voix et confidentiellement .) Et puis, citoyen commandant, vous savez quel tour Bonaparte lui a joué...
DUPUY, avec violence.
Si je le sais !... Il m’a même obligé de tremper dans cette sale affaire... Bien entendu Fourès a raison dans tout ce qu’il dit et c’est un tour de cochon de Bonaparte que de s’être tiré d’ici en nous laissant nous dépêtrer seuls... ( Toujours plus violent .) Bien sûr, il n’est allé en France que pour tordre le cou à la République : cet homme marcherait sur cent mille cadavres comme sur un tapis. En dehors de lui et de sa propre carrière, rien n’existe... Mais ce n’est pourtant pas une raison pour qu’un lieutenant me jette son épée à la figure et pousse les soldats à la révolte. Non, Deschamps, je le regrette, mais Fourès doit être traduit devant la cour martiale !
DESCHAMPS.
Ça fera du vilain ! Justement lui et précisément en ce moment !
DUPUY.
Mais il faut bien qu’il y ait une sanction. Au diable, dans quel pétrin il vous met ce Bonaparte ! Tandis qu’il vogue tranquillement avec sa Bellilotte il me laisse cet imbécile sur les bras. Beau cadeau, en vérité !
DESCHAMPS.
Il y aurait peut-être un moyen d’arranger ça... ( toujours confidentiellement ) : ne pourrait-on pas expédier Fourès aussi en France ? Qu’il est malade, ça ne fait de doute pour personne. Lui parti, toute cette affaire désagréable serait terminée du moins pour nous.
DUPUY, le regardant ébahi.
L’expédier en France ?... ( Puis, dans un grand éclat de rire .) Mais c’est une excellente idée, Deschamps ! Oui, qu’il s’en aille ! Je serai débarrassé des tracas d’un pareil procès ! Me salir les mains une fois de plus pour Bonaparte ? Merci, j’en ai assez ! En quoi ces histoires de coucheries me concernent-elles ? S’il emmène la poule, il n’a qu’à se charger du cocu... Bien sûr, on va le lui envoyer tout de suite et si là-bas il l’empoisonne tant mieux ! Ha ha !... Ha ha !... Fameuse idée, Deschamps ! Nous allons arranger ça : Réformé pour maladie, avec citation spéciale, et en route pour la France, presto. Qu’ils
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