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Un caprice de Bonaparte

Un caprice de Bonaparte

Titel: Un caprice de Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stefan Zweig
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continue. J’aimerais bien rire moi aussi, pour une fois. Je n’en ai pas souvent eu l’occasion dans le coin maudit d’où j’arrive. Quand ils se mettaient à hurler à l’hôpital, ce n’était pas pour rire, mais parce qu’ils sentaient la scie entamer leurs os. Allons, vas-y, Coujas.
     
    PREMIER SOLDAT, embarrassé.
     
    J’aurais honte devant vous, citoyen lieutenant, honte de vous servir de ces histoires réchauffées !
     
    (Silence général. Les soldats cherchent à s’occuper. Fourès les regarde avec une expression d’amertume.)
     
    DESCHAMPS, pour changer de sujet.
     
    Et ta fièvre ? Ça va mieux aujourd’hui ?
     
    FOURÈS.
     
    Merci. T’occupe pas de ça ! Crever n’est pas ce qui peut vous arriver de pire. ( Nouveau silence. Puis, brutalement : ) Allons, la vérité, dites-le franchement, vous étiez en train de rire de moi !
     
    DESCHAMPS.
     
    Qu’est-ce qui te prend ?
     
    FOURÈS.
     
    Oui, de moi. Je le sens. Je le vois à votre mine, je vois que vous vous mordez les lèvres dès que j’approche.Et que vous décampez ensuite, comme si j’apportais la peste sous mon manteau. Honnêtement, en camarade, Deschamps : c’est de moi que vous riiez, n’est-ce pas ?
     
    DESCHAMPS.
     
    C’est complètement idiot, Fourès. Aucune raison !
     
    FOURÈS.
     
    Parole d’honneur ?
     
    DESCHAMPS.
     
    Parole d’honneur.
     
    FOURÈS, après un silence, obstinément.
    De qui donc ?
     
    DESCHAMPS.
     
    Allons, Fourès, assez de bêtises, de balivernes.
     
    FOURÈS, criant presque et surexcité.
     
    Je veux savoir de qui vous parliez !
     
    DESCHAMPS, agacé et bref.
     
    Du général ! Et d’elle ! Après tout, ce n’est pas un crime. Maintenant tu le sais !
     
    FOURÈS.
     
    Je n’attendais pas une autre réponse. Mais pourquoi vous mettez-vous un bouchon devant moi ? Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Je suis divorcé, légalementet officiellement, et si maintenant elle est sa poule, je m’en fous ! Pas besoin de ménagements avec moi, je peux supporter cela. Ou bien ça vous amuse de tourner en ridicule votre vieux Fourès, de vous le représenter comme un cocu content, ou comme le personnage d’une comédie burlesque !
     
    DESCHAMPS.
     
    Mon pauvre Fourès, tout le monde sait combien ils ont été dégoûtants avec toi...
     
    FOURÈS, se mordant les lèvres.
     
    Ah... tout le monde le sait ?
     
    DESCHAMPS.
     
    Toute l’armée.
     
    FOURÈS.
     
    Ah !... toute l’armée ?... Mais, dis-moi, qui a jamais ouvert le bec pour dire : Faut pas toucher à notre camarade et à sa femme ? Qui... de toute l’armée républicaine ? Hein ? Vous avez pourtant juré tous un jour : Liberté, Egalité, Fraternité. Mais vous l’avez oublié et vous avez fait dans vos culottes devant le grand Bonaparte !
     
    DESCHAMPS.
     
    S’il s’était agi d’un autre ! Mais Bonaparte ? Qui peut se dresser contre lui ?

     
    FOURÈS, cinglant.
     
    Pourtant je me souviens que devant la Bastille nous nous sommes dressés contre un autre qui était né roi de France ! Enfin, merci camarades – et continuez à vous bien porter sous votre nouveau maître !
     
    (Il se lève pour partir.)
     
    DEUXIEME SOLDAT, frappe du poing sur la table.
     
    Et je vous dis, moi, que c’est une honte ! Une honte pour nous tous ! Ça n’a rien à voir avec la discipline. Dans des affaires comme celle-là, plus bas que la ceinture, il n’y a pas de général qui tienne. Nous mériterions qu’on nous crache au visage d’avoir dit amen quand notre lieutenant a été dépossédé de sa femme de la façon malpropre que l’on connaît.
     
    DESCHAMPS.
     
    Personne ne pouvait soupçonner qu’on l’éloignait pour cela !
     
    PREMIER SOLDAT.
     
    Mais lorsque l’entremetteur est venu avec ses bavardages notre devoir était de l’arrêter carrément ! Nous aurions dû le jeter dehors et lui dire : « Bas les pattes, coquin, faut pas toucher à la femme de notre officier. Bellilotte nous appartient, elle est au régiment ! »
     
    DEUXIEME SOLDAT.
     
    Et il faut qu’elle y revienne ! C’est une honte pourtoute l’armée que la femme de notre Fourrès passe pour une entretenue du général. Faut qu’elle nous soit rendue... à Fourès, à nous !
     
    LES SOLDATS, bruyamment.
     
    Oui, Bellilotte doit revenir avec nous, avec le régiment !
     
    DESCHAMPS.
     
    Absurdité que cela ! Ce que l’autre tient, personne ne peut le lui arracher !
     
    PREMIER

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