Un caprice de Bonaparte
SOLDAT.
On verra bien ! Il se gardera de dire non ! C’est qu’avec la Convention on ne plaisante pas ! Et avec nous non plus, quand on veut se moquer de nous à notre nez et à notre barbe ! Je voudrais bien voir qu’il ne nous la rende pas si chacun de nous l’exige ! Moi j’ai confiance. Qui m’appuie ?
DEUXIEME SOLDAT.
Moi !
PLUSIEURS SOLDATS.
Moi aussi... moi aussi... nous tous !
PREMIER SOLDAT.
En avant ! Nous y allons ensemble ! Et vous, lieutenant Deschamps, vous allez nous écrire une requête que nous signerons tous ! Qu’avons-nous à redouter, que diable ? Qu’est-ce qui peut arriver de pire à unsoldat français que d’être envoyé dans ce patelin de misère ? ( A Fourès .) Aussi vrai que je suis là, je marche, citoyen lieutenant, quand bien même il m’en coûterait la tête ! Personne ne doit pouvoir dire que nous n’avons pas ouvert le bec quand on a pris la femme de notre lieutenant !
FOURÈS.
Je vous remercie, les gars ! Mais cela n’a plus de sens maintenant. Je ne veux pas que quelqu’un se brise les reins pour moi. Le jour où je n’aurai plus cette camisole sur le dos et que je serai rentré en France, quand le soldat, le chien que je suis sera redevenu un homme et un citoyen, ce jour-là je vous permets de dire que je suis un lâche si je la ferme. Là-bas, je saurai faire valoir mes droits. Ne vous faites pas de bile. La partie n’est pas encore jouée.
PREMIER SOLDAT.
Non, cela nous concerne tous ! C’est maintenant notre affaire ! Pas un jour de plus nous ne tolérerons cette canaillerie ! Aujourd’hui même nous nous présenterons tous au rapport.
AUTRES SOLDATS.
Oui... bravo... aujourd’hui même... et tous ensemble !
(A ce moment le commandant Dupuy descend vivement l’escalier et veut passer.)
DEUXIÈME SOLDAT.
Voilà le commandant, il faut qu’il nous annonce immédiatement.
(Tous les soldats le cernent en criant.)
DUPUY, interdit.
Que se passe-t-il ?
PREMIER SOLDAT.
Nous voulons parler au général Bonaparte, tous tant que nous sommes !
DUPUY, embarrassé.
Ce ne sera guère possible en ce moment !
DEUXIÈME SOLDAT, l’interrompt brusquement.
Il faut que ce soit possible ! Et tout de suite. Le général doit avoir le temps d’entendre ses soldats !
DUPUY, de plus en plus embarrassé.
Bien sûr, bien sûr ! Mais pour l’instant cela n’est vraiment pas possible ! Au reste, j’avais de toute façon l’intention de vous réunir (silence) ... D’importantes nouvelles nous sont arrivées. Notre situation militaire en Europe a changé défavorablement. La République a maintenant besoin de ses meilleurs soldats, de ses meilleures forces ! Pour cette raison, le Directoire s’est vu dans l’obligation de rappeler le général Bonaparte sur le théâtre européen de la guerre.
UN SOLDAT, sursautant.
Rappeler ?
DUPUY, continue, sans tenir compte de l’interruption.
... Et de passer le commandement de l’armée d’Egypte au général Kléber.
LES SOLDATS, criant furieusement.
Non, nous n’accepterons pas ça ! Non, ça n’existe pas !... Nous sommes venus avec Bonaparte, faut qu’il rentre avec nous... nous ne voulons pas de Kléber, nous voulons Bonaparte. Il n’a pas le droit de nous abandonner... nous sommes avec lui ou avec personne ! Il ne peut pas partir... nous voulons lui parler...
DUPUY.
Impossible ! Le général Bonaparte s’est déjà conformé aux ordres du Directoire et il est parti hier.
PREMIER SOLDAT, tout effrayé.
Parti ?
FOURÈS, s’avance et scande d’une voix forte :
Non, il a dé-ser-té !
LES SOLDATS, se mettant à crier.
Oui, c’est une trahison ! C’est lui qui nous a entraînés dans cette saleté de pays, sans lui nous ne combattons plus... Nous aussi on veut rentrer en France... faut pas qu’il y ait des privilégiés : si lui rentre, nous aussi.
DUPUY, à Fourès.
Silence ! Je vous interdis de tenir ce langage !
FOURÈS.
Où est l’ordre du Directoire disant à Bonaparte d’abandonner l’armée ? Citoyen commandant, je vous demande instamment de nous montrer cet ordre, je veux le voir. Il faut nous en donner lecture !
LES SOLDATS.
Oui, nous voulons voir l’ordre ! Faut nous lire cet ordre !
DUPUY, rageur.
Silence, je vous dis ! Au
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