Un collier pour le diable
la lumière du jour pouvait lui révéler quelque signe caché.
— Que vas-tu faire ? demanda Ulrich-August occupé à vider sa pipe en la tapant contre le manteau de la cheminée avant de la bourrer de nouveau.
— Y aller, bien sûr. Je ne sais pas qui m’envoie ce billet mais s’il y a la moindre chance de retrouver Judith, pour rien au monde je n’y manquerais.
— Et si c’était un piège ?
— Un piège ? De qui, mon Dieu ? Et pourquoi ? Si la Reine a chassé cette La Motte, il n’y a aucune raison pour qu’elle lui ait dit que j’en étais la cause. Voilà des mois que je me ronge les poings dans l’attente d’un signe, d’un mot, d’un appel. Je suis capable d’aller jusqu’en enfer pour une simple trace. Non, ce qui m’intrigue le plus c’est la référence à Lecoulteux. Ce n’est pas un ami, tout juste une relation et encore ! Une ancienne relation serait plus exact car depuis la lettre de la duchesse et la visite que je lui ai faite, nous ne nous sommes plus revus.
En effet, contrairement à ce que pensait Gilles, Cayetana avait pris comme une offense personnelle le délai réclamé par Boehmer. Son ambassadeur avait reçu d’elle une lettre fort aimable mais fort péremptoire lui enjoignant d’avoir à rompre immédiatement les accords pris avec les joailliers.
« J’admire beaucoup la reine Marie-Antoinette, disait-elle, mais je n’ai aucune raison d’attendre humblement qu’un caprice lui vienne ou lui passe. Vous avez fait, en mon nom, mon cher chevalier, une offre plus que généreuse. Les joailliers parisiens n’ont pas su lui donner une préférence immédiate, je leur laisse donc leur collier, sans grands regrets d’ailleurs, puisque je sais, depuis peu, qu’il ne viendra pas tenter d’embellir certaine vilaine tête à laquelle la couronne ira déjà suffisamment mal… »
Il semblait, en effet, que les joailliers de la rue de Vendôme eussent perdu leurs deux clientes espagnoles à la fois. Le chevalier d’Ocariz était reparti pour Madrid afin d’y subir le mécontentement de son maître car, apparemment, Maria-Luisa n’avait pas jugé utile de s’assurer du consentement de son beau-père avant de lancer le consul d’Espagne à l’assaut des diamants de Boehmer. Or, Charles III trouvait, avec certaine raison peut-être, que la future reine possédait bien assez de diamants comme cela et que le trésor royal était hors d’état de supporter pareille extravagance.
La sagesse forcée de son ennemie avait-elle entraîné celle de la duchesse d’Albe, ou bien, avec sa manie des constructions, pensait-elle que l’argent du collier serait mieux employé dans un nouveau palais ? La lettre ne le disait pas mais sous la désinvolture des mots, Gilles crut découvrir une sorte de soulagement ; évidemment avec une femme aussi capricieuse, qui pouvait se vanter de connaître avec précision le jeu changeant des pensées ?… Elle avait eu envie de ce collier, à présent elle n’en avait plus envie… quoi de plus simple, après tout ?
Par contre, la double défection espagnole plongeait Boehmer et Bassange dans un véritable désespoir. Car si la Reine ne se décidait pas à acheter le collier c’était pour eux la ruine sans phrase. Or, la fin du délai demandé par le comte de Provence approchait et aucun signe encourageant n’étant arrivé de Versailles, les deux associés en arrivaient à offrir mille écus à qui leur ferait vendre le trop fastueux objet.
Du côté de Lecoulteux, les choses avaient été fort simples. Le banquier s’était borné à informer la succursale de Cadix de l’annulation du marché et à offrir à Gilles, au nom de la duchesse, un dédommagement que le jeune homme avait d’ailleurs refusé.
— Je n’ai eu d’autre peine que faire votre connaissance et celle des joailliers de la Reine, dit-il au banquier. Cela ne mérite vraiment aucun dédommagement.
Lecoulteux de la Noraye s’était mis à rire.
— L’homme du monde vous approuve, chevalier, mais pas l’homme d’affaires. Les beaux sentiments mènent rarement à la fortune. Cela dit, je serai toujours très heureux de vous voir…
Cette parole, Gilles venait de se décider à la lui rappeler et à le prier, dès le lendemain, de lui servir d’introducteur dans la maison La Motte quand, à cet instant même, Javotte, la domestique de Mlle Marjon, reparut avec un autre billet.
Le nouveau venu n’avait rien de féminin. Il ressemblait
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