Un collier pour le diable
sourcilière en surplomb. C’était un visage aux traits lourds, encadré de longues « pattes » noires coupées carrément. Sans beauté mais fascinant : celui d’un paysan habité d’une lumière intérieure. Le corps, puissant quoique dépourvu de graisse, était coulé dans un superbe costume de majo : courte veste de velours incarnat, garnie d’épaisses épaulettes de passementerie noire, ouverte sur une fine chemise de batiste brodée et laissant voir la large ceinture de satin noir, culotte collante de soie paille garnie de boutons et de pampilles d’argent, bas de même nuance, souliers à boucles et, retenant sur la nuque les longs cheveux, épaisse résille de soie noire. Une grande cape noire attendait, jetée sur une branche d’arbre.
Cet opulent personnage s’appelait don Francisco de Goya y Lucientes. Il avait trente-sept ans. Il était peintre du Roi depuis quatre ans…
Gilles de Tournemine l’avait rencontré peu de temps après son arrivée à Madrid, sur la Plaza Mayor, au cours de la dernière corrida où il s’était rendu parce qu’on lui avait dit que c’était un spectacle à ne pas manquer. Mais il n’avait pas tardé à regretter sa curiosité et, en fait, il n’avait jamais vu la fin de ladite corrida. Le spectacle d’une arène ponctuée de cadavres de chevaux éventrés par les cornes du taureau avait soulevé à la fois son horreur et son indignation.
Sans accepter d’en voir davantage et peu habitué à cacher ce qu’il pensait, il avait fait connaître son sentiment à la ronde à haute et beaucoup trop intelligible voix. Ses protestations déchaînèrent alors une mini-révolution chez les fanatiques qui l’entouraient. En un instant il se trouva affronté à une meute hurlante fermement décidée à l’étriper pour mieux lui faire apprécier les mérites de la tauromachie.
Trop furieux pour juger le danger à sa juste valeur, Tournemine tira son épée dont quelques moulinets purent tenir un moment à distance la foule des aficionados outragés. Mais de longs couteaux étaient apparus dans quelques mains et le jeune homme finalement aurait succombé immanquablement sous le nombre si l’homme qu’il appelait à présent si familièrement Paco ne s’était frayé un chemin jusqu’à lui.
— Vous insultez l’honneur espagnol pour des charognes sans intérêt ? Vous devez être fou, señor !
— Je n’ai jamais considéré les chevaux comme des charognes sans intérêt ! J’aurais plutôt tendance à réserver ce vocable au genre humain. Le cheval, monsieur, est le plus noble animal sorti des mains de Dieu ! Il n’a pas été créé pour des massacres imbéciles.
— Dès l’instant où l’homme joue sa vie, qu’importe le cheval ? Vous deviez voir la corrida jusqu’au bout avant de juger !
— J’en ai vu assez… à moins que vous ne m’assuriez le plaisir de voir le taureau venger les chevaux !
Un hurlement de fureur salua cette déclaration. Gilles salua ironiquement de l’épée.
— À votre disposition, messieurs ! Je peux aussi bien jouer le rôle du taureau.
— Pas question, coupa vivement l’homme. Vous allez vous battre avec moi d’abord !
— Ce sera un plaisir… mais vous n’avez pas d’épée.
— N’en concluez pas que je ne sais pas m’en servir. Simplement je ne l’ai pas avec moi. Mais j’ai des poings, ajouta-t-il en mettant sous le nez du Français des poings gros comme des jambonneaux. Nous nous battrons à ma manière, si vous le voulez bien. Évidemment un gentilhomme ne doit pas connaître ce genre de combat…
— Croyez-vous ?… Essayons toujours !…
Au milieu d’un large cercle, les deux hommes s’empoignèrent et ne tardèrent pas à rouler dans la poussière. L’inconnu était d’une force redoutable mais plus petit et moins rapide que Gilles, lequel avait poussé à la perfection, avec Pongo, la science de la lutte indienne acquise dans les forêts de Virginie. Le combat fut dur, s’éternisa sans parvenir à une conclusion. Au bout d’un temps qu’aucun d’eux ne put mesurer, les deux hommes se retrouvèrent assis par terre, face à face, à bout de souffle… et parfaitement seuls à l’exception d’un gamin déguenillé qui les contemplait en mangeant un morceau de pastèque : leur public, lassé, avait préféré retourner au spectacle plus épicé de l’arène. L’Espagnol alors éclata de rire.
— Je crois que nous pouvons nous en tenir là ! De
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