Un collier pour le diable
coiffait avec une ardeur sauvage. En un tournemain, la Reine fut prête et livrée à ses suivantes qui dansèrent autour d’elle une sorte de ronde en chantant. Puis la couronne printanière fut posée sur les boucles noires ; après quoi, environnée de son escadron de jeunes filles, la Reine de Mai prit place sous l’arceau fleuri et se dirigea gravement vers l’église du village dont les cloches à présent sonnaient à toute volée.
Madame Cabarrus, qui s’était absentée un instant, reparut sous un immense chapeau de paille à la mode de Paris orné d’une profusion de choux en taffetas bleu nattier et d’un long jet de plumes d’autruche blanches, amarré tant bien que mal sur la mousse de ses cheveux poudrés et qui lui donnait assez l’apparence d’un champignon. C’était une toute petite femme, vive et sautillante comme un moineau. Sans cesse en mouvement, douée d’un tempérament fatigant pour un mari et d’un esprit acerbe auquel bien peu de personnes pouvaient se vanter d’échapper. En plus de cela, snob comme il n’est pas permis et vaniteuse à l’extrême de ce titre de comte que le roi Charles III avait, trois ans plus tôt, accordé à son époux, devenu l’un des plus importants financiers espagnols, en même temps que ses lettres de naturalisation.
Évidemment, la sévère noblesse espagnole ne cachait guère son dédain pour ce « comte » de Cabarrus fabriqué à partir de l’armateur François Cabarrus, natif de Cap-Breton dans les Landes, et pour cette comtesse dont le nom de jeune fille était tout uniment Antoinette Galabert. Mais leur propre grandeur suffisait aux parents de Thérésia qui vivaient volontiers à l’écart dans leur opulente demeure de Carabanchel avec leurs trois enfants, sachant fort bien d’ailleurs que leur fortune permettrait à leur fille, le moment venu, de choisir, si elle le voulait, sans difficulté un époux dans la noblesse locale, arrogante, couverte de titres et de noms mais en majorité impécunieuse.
Avec détermination, la comtesse Antoinette s’empara du bras laissé vacant par sa fille.
— Trouvez-vous pas, chevalier, que nous formons un couple bien assorti, vous et moi ? Le bleu de votre uniforme est tout à fait le même que celui de ma robe…
Le jeune homme portait en effet l’élégant costume des Gardes, copié par le premier roi Bourbon sur son équivalent de Versailles à quelques différences près : habit bleu aux revers incarnat soutachés d’argent, culotte et gilet chamois, large baudrier brodé, hautes bottes à entonnoir et chapeau lampion.
Il devait à sa haute taille, à son nom et à son aspect physique son entrée dans ce régiment privilégié tandis que son ami Batz devait se contenter de celui, infiniment moins élégant, des Dragons de Numance. Le Gascon s’en consolait aisément en ne s’y montrant guère plus assidu qu’à Reine-Dragons, fréquentant par contre avec beaucoup d’application les tripots madrilènes où il jouait un jeu d’enfer et certains fonctionnaires du Tribunal des Indes grâce auxquels il lui était possible, à ce qu’il disait, de conclure d’avantageux marchés sur les importations des colonies américaines. Il avait même convaincu son ami de lui confier une partie du modeste pécule amassé au service du roi de France pour l’investir dans des denrées alimentaires de luxe telles que les épices et le cacao.
Pour le reste, Gilles, sage et prudent, l’avait confié à ce François Cabarrus dont l’ancien ministre Necker lui avait chaudement recommandé le talent lorsque, avant de quitter la France, il était allé lui faire une visite d’adieu car, s’il avait entière confiance dans les talents financiers réels de son ami, il craignait un peu sa passion pour le jeu. Il s’en trouvait d’ailleurs très bien : le banquier, avec une régularité d’horloge, le tenait au courant mois par mois de l’état de ses affaires et, lorsque le jeune homme venait passer deux ou trois jours à Carabanchel, l’initiait peu à peu à ce jeu redoutable des finances pour lequel il n’avait eu, jusqu’alors, aucune disposition et même quelque répugnance très aristocratique.
— Vous seriez surpris, lui avait-il dit le premier jour, du nombre de Grands d’Espagne qui, non seulement comptent aussi bien que mes employés, mais encore rendraient des points au Shylock de Shakespeare. La hauteur méprisante de quelques-uns est solidement étayée sur des piles de
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