Un collier pour le diable
Comment peux-tu connaître ces gens-là ? Qui était-ce ?
— C’était mon frère !
— Ton…
— Oui. C’était Morvan…
Un instant, ils gardèrent le silence cependant que se levait, au fond de la mémoire de Gilles, avec une âcre bouffée de haine, la silhouette brutale du plus jeune des Saint-Mélaine. Ainsi, l’homme qu’il s’était donné à tâche de retrouver et d’envoyer en enfer rejoindre Tudal son aîné était à Paris ? Il l’avait peut-être côtoyé dans la foule sans le reconnaître…
Sentant que Judith tremblait encore, il caressa doucement sa tête puis, obligeant sa voix à demeurer parfaitement calme :
— Eh bien, disons que c’est une bonne nouvelle ! Puisqu’il appartient à la Police je n’aurai guère de peine à le retrouver.
— Que veux-tu faire ?
— Rien de plus simple : le tuer ! Tant qu’il vivra, tu ne connaîtras pas la paix et je ne veux plus te voir ces yeux de biche épouvantée. Je t’aime, Judith. Tu es toute ma vie et je veux être toute la tienne ! Il n’y a pas de place entre nous pour un misérable comme Morvan… Oublie-le un instant en attendant de l’oublier tout à fait et raconte-moi la fin de ton histoire. Comment as-tu réussi à sortir de ta souricière ?
— Par le toit !… Il y a au-dessus de la chambre du comte des soupentes, un grenier que l’on peut atteindre par un petit escalier intérieur. Je suis sortie par là et par les gouttières… comme un chat mais un chat qui mourait de peur ! J’ai réussi à gagner le toit de la maison voisine non sans peine. Heureusement que nous sommes en été car il y avait une lucarne ouverte. Je suis passée dans un grenier très encombré et très sale. C’est là que je me suis blessée à la main avec le loquet de la porte. Mais j’ai trouvé l’escalier et j’ai pu enfin arriver dans la rue. Là, tournant le dos au boulevard, j’ai couru, couru jusqu’à ce que je trouve un fiacre qui accepte de me conduire jusqu’à Versailles. Encore m’a-t-il laissée à la grille de la ville car il était pressé de rentrer à Boulogne où il remise. J’ai dû chercher seule cette maudite rue de Noailles et j’ai cru un moment que je n’y arriverais pas, tant j’étais lasse et apeurée. À chaque instant il me semblait que j’allais voir reparaître Morvan…
— Tu ne le reverras plus ! Je ferai ce qu’il faut pour cela. Mais ton fiacre, comment as-tu pu le payer ? Tu avais de l’argent ?
Pour la première fois depuis qu’elle était arrivée, il vit une lueur joyeuse briller dans ses grands yeux. Même elle se mit à rire.
— Eh oui !… Je suis riche, figure-toi ! enfin… assez riche ! Regarde !
Et, se penchant en avant, elle retroussa le bas de sa robe, l’un de ses jupons brodés et découvrit, cousue à celui de forte toile qui donnait l’ampleur à sa jupe, une grande poche de toile dont elle tira une grosse liasse de billets et un petit sac d’or qu’elle jeta sur le lit.
— Qu’est-ce que tout cela ?
— Le contenu du portefeuille de Sérafina. Ce n’est pas solide du tout un cachet de cire rouge, même très gros ! Et cela lui apprendra à m’oublier, volontairement ou non ! Je lui ai laissé ses diamants, c’est déjà bien.
— Eh bien, et ton cher comte Alexandre ? Je croyais que tu l’aimais tant. Cet argent est à lui…
— S’il avait été là il aurait été le premier à me le donner. L’or ne signifie rien du tout pour lui, tu sais ? Il en fabrique !
— Il en fabrique ! fit Gilles éberlué.
— Mais oui. Dans la cave de la maison où il a installé des fourneaux, des cornues, des tas de choses bizarres. Je l’ai vu faire une fois. Oh ! c’était tellement impressionnant ! Voilà pourquoi j’ai pris cet argent sans remords. Oh, Gilles ! je t’ai entendu dire à Cagliostro que tu étais prêt à tout abandonner pour moi, ta carrière, le Roi, Versailles, à m’emmener en Amérique mais, lorsque j’en ai parlé au Maître, il a souri en disant que tu étais sûrement sincère mais que tu étais loin d’avoir assez d’argent. Maintenant nous en avons, quand partons-nous ?
— Bientôt ! J’espérais même que nous pourrions profiter du départ de Benjamin Franklin mais lorsque je suis allé chez lui, il venait de partir pour Brest. Il était trop tard.
— Grâce à cet argent, cela n’a plus d’importance à présent. Nous pourrons partir demain, tout de suite… Nous allons enfin
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