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Un collier pour le diable

Un collier pour le diable

Titel: Un collier pour le diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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pas plus fameuse que les autres mais on y trouvera toujours du pain, des oignons et un pichet de vin. L’avantage de ma situation de mort est que l’idée ne viendra à personne de me courir après !…
    En dépit de cette belle certitude, ce fut avec l’instinctive inquiétude des gens qui vivent en dehors de la loi que Gilles et Pongo franchirent l’étroit pont romain dont l’arc brisé enjambait la Jajama et arrivèrent en vue de l’auberge, pour s’apercevoir qu’une voiture était arrêtée devant.
    Et ce n’était pas n’importe quelle voiture habituée du sentier défoncé qui portait en Espagne le nom pompeux de Camino Real. Ce n’était ni une de ces lourdes diligences aux mantelets de cuir où s’entassait une humanité résignée, ni l’un de ces « coches de colleras », sortes de berlines grinçantes où seulement six passagers pouvaient trouver place, ou encore l’un des rapides cabriolets de « petimetres » mais un équipage trop superbe pour ne pas appartenir à quelque grand d’Espagne ainsi d’ailleurs que le proclamaient les armoiries compliquées peintes sur les portières.
    D’une main posée sur l’épaule de son maître, Pongo le retint cependant que de l’autre il désignait le carrosse dont la laque noire et les cuivres étincelants à peine voilés de poussière brillaient sous les rayons du soleil. Mais Gilles avait déjà pris son parti.
    — Mon « exécution » a été secrète, fit-il en haussant les épaules, et il n’y a pas assez longtemps que je vis en Espagne pour connaître tout le monde et en être connu. Et puis, au diable ! J’ai vraiment trop faim !
    Suivi d’un œil intéressé par l’escouade des valets et les piqueurs en livrée rouge et or qui entouraient le carrosse, il attacha son cheval à l’un des piliers de bois de l’auberge et s’élança vers l’entrée. Mais, sur le point de la franchir d’un bond, il s’arrêta net, le souffle court : une femme venait d’apparaître sur le seuil et cette femme n’était autre que la belle maja dont l’image avait si fort occupé son esprit. La belle maja… son seul regret au moment de quitter l’Espagne.
    C’était elle et pourtant ce n’était plus tout à fait elle. Le costume qu’elle portait ne ressemblait en rien à celui des femmes de sa condition. Une sorte d’amazone en épaisse soie mate, du même rouge profond que ses lèvres, drapait ses plis gracieux autour de sa taille mince. D’admirables dentelles moussaient autour de ses poignets et dans l’échancrure du vêtement cependant que, sur la masse sombre des cheveux coiffés à la dernière mode de Paris, se perchait, à un angle hardi, un grand chapeau rouge orné d’une insolente plume blanche. Les mains gantées de blanc dont l’une retenait la longue traîne de la robe s’ornaient d’une seule bague, mais fabuleuse, aussi fabuleuse que le rubis qui ensanglantait la gorge de la belle, tremblant au bout d’une mince chaîne d’or.
    Les deux regards se croisèrent, s’accrochèrent l’un à l’autre puis ne se quittèrent plus. Fasciné, Gilles avait oublié sa faim, sa fatigue et sa hâte d’arriver à Madrid. La beauté de cette femme effaçait l’univers, le paysage de terre brûlée aux arbres rares et tordus par les vents de l’hiver castillan, les silhouettes boucanées de quelques paysans loqueteux en espadrilles poussiéreuses.
    Un brusque sourire retroussa soudain les belles lèvres peintes, gagna les yeux noirs qu’il illumina.
    — Par quel hasard vous trouvez-vous ici, Monsieur ? murmura la jeune femme en un français sans défaut, à peine relevé par un léger accent chantant.
    Devinant que cette femme n’était pas tout à fait ce qu’il avait cru tout d’abord, Gilles recula d’un pas pour lui livrer passage et salua d’un geste large.
    — Un hasard heureux, Madame, puisqu’il permet que je vous revoie alors même que je ne l’espérais plus !
    Elle apprécia son salut d’un air amusé, tapotant sa jupe à l’aide d’une mince badine qu’elle tenait à la main.
    — Vous voilà bien cérémonieux tout à coup, chevalier. Lors de notre dernière rencontre, à Carabanchel, il me semble bien que vous m’appeliez « ma belle »… et que vous me tutoyiez ?…
    — Les majas aiment, à l’ordinaire, qu’on leur parle leur langage. À Carabanchel, vous étiez l’une d’entre elles…
    — Et que suis-je aujourd’hui, s’il vous plaît ?
    — Je ne sais pas !

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