Un collier pour le diable
ongles dans les épaules du jeune homme, se tordant comme une couleuvre pour échapper à la brûlure soudaine de son corps mais déjà il se jetait avec elle sur le divan.
Jamais encore il n’avait fait l’amour avec cette violence, inhabituelle chez lui et qu’il n’essayait même pas d’analyser. Il était soulevé hors de lui-même, emporté par une impulsion primitive et complexe où entraient de la rancune pour la désinvolture avec laquelle cette femme lui avait imposé sa loi par son impudeur pleine de défi, de la colère contre lui-même pour n’avoir pas su résister, enfin du désespoir, car il y avait de fortes chances pour que ce corps soyeux fût le dernier dont il pût encore triompher. Le piège était bien dressé et ses chances de quitter Madrid vivant fort minces. Mais il s’aperçut bien vite que sa brutalité était loin de déplaire car la jeune femme, tendue comme un arc, les yeux noyés et les joues inondées de larmes, râlait sous l’assaut mais hâtait de toute son ardeur une conclusion dont la violence les jeta presque hors du divan…
Un moment plus tard, tandis qu’il reposait sur elle les bras en croix, son cœur battant lourdement contre la gorge de Cayetana, elle se mit tout doucement à lui caresser le dos d’une main étrangement timide comme si elle craignait de réveiller le démon endormi en lui ; puis, posant très doucement sa bouche contre la sienne :
— Brute, chuchota-t-elle d’un ton câlin qui démentait l’injure. Tu m’as fait mal, tu sais ? Est-ce là une façon de traiter une grande dame ?
Il s’écarta d’elle aussi brusquement que si elle l’avait brûlé, plantant dans le sien son regard glacé où rien ne subsistait de l’amoureux délire.
— Était-ce donc la grande dame ? persifla-t-il. Je n’ai vu qu’une chatte des rues en chaleur, une simple manola à la recherche de son instinct. Et comme c’était celle-là même dont j’avais envie depuis longtemps…
L’insulte la fit sourire tandis que ses mains souples couraient sournoisement sur le corps du jeune homme.
— Dont tu avais ?… Quel déplaisant imparfait !… L’heure n’est pas encore finie, mon bel ami, mais toi, apparemment, tu l’es déjà.
Le démenti fut instantané. L’heure fut dépassée, puis une autre, puis une troisième, toutes rythmées par le cri mélancolique du sereno dont le pas lourd éveillait les échos de la rue. Et quand, enfin, la jeune femme se retrouva inerte, reposant contre la poitrine de son amant, ce fut très humblement qu’elle murmura :
— Et maintenant… acceptes-tu de m’écouter, de me suivre ?
Il l’embrassa doucement, délicatement, sur les yeux, sur la bouche et sur chacun de ses seins.
— Non, ma douce… maintenant moins encore que jamais ! Grâce à toi j’ai désormais assez de force pour affronter en riant tous les bourreaux du Saint-Office.
Tout de suite elle s’emporta :
— Triple mule entêtée ! On ne rit pas sur le bûcher ! Et il s’agit bien de bourreaux ! Crois-tu que je supporterais à présent de te voir affublé du grotesque sanbenito , te tordre sous la morsure des flammes enchaîné à un poteau… et cela à cause de cette garce de Maria-Luisa ? M’as-tu dit, oui ou non, hier que ta vie m’appartenait ?
— Je l’ai dit, mais…
— Ce genre de parole ne souffre aucun mais… Je considère donc que j’ai droit de faire, de cette vie, ce que bon me semblera et, en conséquence, j’ordonne, tu entends… j’ordonne que tu attendes ici que je revienne te chercher demain matin. Non, ne proteste pas, ne dis pas non… tu n’as pas le droit car, vois-tu, je crois que j’ai trouvé un moyen excellent de te faire quitter Madrid… un moyen à peu près sans danger.
— À peu près ! Tu vois bien…
— Ne sois pas bête ! Il faut toujours compter avec le sort mais j’aime le danger, j’y trouve le goût véritable de la vie et, malheureusement, je ne le rencontre pas souvent. Ce que nous allons faire ensemble m’amusera follement et je ne te pardonnerais pas de m’en priver. Enfin, si tu veux le savoir, j’ai besoin de toi, en France. Tu pourras peut-être m’y rendre un service important, un service que je ne peux demander qu’à toi… Tu vois, nous serons à égalité.
— Est-ce bien vrai ? Je n’en crois rien ! Ou alors parle, dis-moi ce que je pourrai faire…
— Non. Demain !… Demain le Diable lui-même sera pour moi car il n’aura pas
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