Un collier pour le diable
croyez-moi, suivez le conseil de mon ami Batz : tenez votre langue ! Sinon elle vous jouera encore plus d’un tour !
Et sans plus s’occuper de son adversaire humilié qui continuait à déverser sur lui un torrent d’injures, qui faisait plus d’honneur à son imagination qu’à son éducation, Gilles prit une pièce d’or dans son gousset et la lança à Hue qui accourait avec ses garçons pour ramasser le blessé.
— Tenez, mon ami ! Il était écrit que je ne goûterais pas à votre matelote aujourd’hui… mais je reviendrai un autre jour. Venez-vous, baron ? Je vous propose d’aller achever notre repas dans un endroit tranquille où nous pourrons trouver à la fois un dîner convenable et des dîneurs qui ne s’occupent que de ce qu’il y a dans leur assiette !
— Volontiers ! J’ai un compatriote, près des Tuileries, chez qui l’on mange bien ! Et tranquillement.
Et sur ce, bras dessus, bras dessous, les deux nouveaux amis s’en allèrent tranquillement à la recherche du plat de résistance et de leur dessert.
1 . Tant qu’il fut un médecin à la mode, Marat porta particule et chevalière armoriée.
2 . C’est actuellement le musée Rodin.
3 . Actuel pont de la Concorde, première construction.
4 . Le déjeuner de midi s’appelait alors le dîner et se prenait chez les gens élégants entre 2 et 3 heures.
5 . Le mot « restaurant » datait d’une vingtaine d’années. « Les restaurateurs, disait le Dictionnaire de Trévoux, sont ceux qui ont l’art de faire de véritables consommés, dits restaurants ou bouillons de prince, et le droit de vendre toutes sortes de crèmes, potages au riz, au vermicelle, œufs frais, macaronis, chapons au gros sel, confitures, compotes et autres mets salubres et délicats »… Jusque-là, on ne trouvait que des « traiteurs » pratiquant la table d’hôtes et le menu unique. Avec le « restaurant » sont venues les tables séparées et la carte.
6 . C’est ce docteur Charles que devait épouser plus tard Julie Bouchaud des Hérettes, l’Elvire de Lamartine, celle pour la mort de laquelle il écrivit Le Lac .
CHAPITRE VIII
… ET UNE SOIRÉE QUI NE L’EST PAS MOINS !
La maison de messieurs Boehmer et Bassange, joailliers de la Reine 1 , située au numéro 2 de la rue de Vendôme 2 en bordure de l’enclos du Temple et au voisinage d’un jeu de paume appartenant au comte d’Artois, ressemblait un peu à une maison bourgeoise, un peu à un entrepôt et beaucoup à une manière de forteresse. Les bâtiments encadraient une vaste cour où les carrosses des riches clients de la maison pouvaient manœuvrer à l’aise, mais les portes, bardées de fer comme celles d’une prison, étaient capables de soutenir l’assaut d’un bélier et les barreaux qui défendaient les fenêtres étaient de taille à décourager les limes les plus solides. Mais, afin de charmer l’humeur bucolique de l’excellente Madame Boehmer, un attendrissant chèvrefeuille escaladait ses murs et, par les beaux soirs d’été, lui apportait sa douceur et son parfum.
C’est devant cette espèce de sanctuaire que, convenablement restaurés enfin, Tournemine et son nouvel ami Ulrich-August arrivèrent aux environs de cinq heures. Le Suisse avait tenu à escorter le Breton encore novice à Paris dans l’espoir de lui être utile, car il était assez lié avec le plus âgé des deux associés, Charles-Auguste Boehmer, Allemand d’origine et ancien joaillier du roi de Pologne au service duquel feu le baron, son père, avait usé quelques années de sa vie. Ce fut même grâce à lui si l’envoyé de la duchesse d’Albe eut l’honneur d’être reçu sans attendre et en visiteur de marque.
Le valet qui apparut derrière le guichet commença en effet par leur répondre que « ces Messieurs étaient en conférence avec un grand personnage » et avaient fait savoir « qu’ils ne recevraient plus d’autres visiteurs ».
De toute évidence, l’homme n’était pas français mais il était jeune et Winkleried ne l’avait encore jamais vu. À tout hasard il lui aboya aux oreilles, en allemand, deux phrases énergiquement accentuées et qui firent miracle : le garçon plongea dans un profond salut et disparut en disant qu’il « allait voir ».
Un instant plus tard, il revenait, tirait les verrous du portail afin de livrer passage aux cavaliers qui pénétrèrent dans la cour où stationnait un élégant attelage tiré par une
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