Un espion à la chancellerie
très frais. Il était fasciné par la façon dont on pouvait maquiller la réalité pour lui donner un aspect tout autre.
Ce n’était guère différent en politique. Divers événements l’avaient surpris depuis son arrivée à Paris et il avait besoin de temps pour y réfléchir et les analyser. On avait logé les envoyés de la cour d’Angleterre près du plus grand pont de Paris, dans un vaste manoir, énorme bâtiment plein de coins et de recoins dont les murs crénelés et les tours pointues entouraient une cour immense. Les Anglais s’étaient rapidement installés. Les Blaskett de ce bas monde ont leur utilité : un certain ordre s’était rapidement instauré, les provisions avaient été vite faites et les cuisines nettoyées et prêtes à servir. Le troisième jour après leur arrivée, les chefs de l’ambassade, invités à rencontrer le roi Philippe et son Conseil au Louvre, s’étaient assemblés dans la grand-salle ornée de bannières d’un rouge sang éclatant, de tentures luxueuses et de l’azur et or de la Maison du roi.
Le sol avait été jonché de paille fraîche mélangée à des fleurs printanières et une armée de grands candélabres de fer où brûlaient des bougies de cire vierge avait été placée autour de la lourde table de chêne, sur l’estrade au fond de la pièce. C’était là qu’avaient pris place les envoyés anglais, et parmi eux Lancastre et Corbett. Une sonnerie de trompettes avait soudain éclaté, et tous s’étaient levés tandis que le roi Philippe et sa suite faisaient leur entrée solennelle. Corbett avait été immédiatement frappé par la noble allure du monarque français revêtu d’une dalmatique de velours bleu semée de fleurs de lys argentées, bordée d’hermine précieuse, blanche comme neige, et retenue par une large ceinture d’or. Sa chevelure blonde, ceinte d’une couronne d’argent, tombait sur ses épaules et encadrait son visage pâle, ses petits yeux, son nez busqué et ses fines lèvres exsangues.
Tout empreint de majesté, jusque dans ses moindres gestes, le roi avait adressé un petit salut à Lancastre avant de s’asseoir sur une haute chaise de chêne, au haut bout de la table ; puis, d’un mouvement las de sa main gantée de pourpre, il avait permis aux envoyés anglais et aux membres de sa suite de prendre place. Ce qu’avait fait Corbett, avant de se relever à demi, sous l’effet de la stupeur, en reconnaissant l’homme brun et râblé qui siégeait aux côtés du roi. Ce personnage, d’ailleurs, le foudroyait du regard sans chercher à atténuer la haine qui s’y lisait. Corbett l’avait dévisagé, n’en croyant pas ses yeux, mais il lui avait fallu se rendre à l’évidence : c’était bien là Amaury de Craon, représentant spécial de la couronne de France. Corbett avait eu maille à partir avec lui en Écosse {8} plusieurs années auparavant, et, à en juger par son hostilité évidente, le Français n’avait ni oublié ni pardonné la façon dont Corbett s’était joué de lui. Détournant le regard, Corbett s’était ressaisi et avait dissimulé sa surprise sous un masque d’impassibilité diplomatique.
Après s’être assuré que ses scribes étaient bien installés derrière lui à une petite table, Philippe IV avait commencé les politesses d’usage : présentations et questions anxieuses sur l’état de santé de son cher cousin, Édouard d’Angleterre. Corbett avait observé Lancastre du coin de l’oeil : celui-ci était à bout et s’étranglait presque de rage, mais le roi, assis bien droit sur sa chaise, le regard rivé sur un point au-dessus de la tête des envoyés, avait poursuivi d’une voix sèche et monocorde. Sans daigner s’interrompre pour laisser la parole à Lancastre, il avait succinctement exposé la situation en Guyenne telle qu’il la voyait : lui était le suzerain du duché, Édouard pouvait être roi d’Angleterre, mais en tant que duc d’Aquitaine, il était vassal du roi de France ; les seigneurs gascons avaient attaqué un domaine français, Édouard avait donc rompu le lien féodal, et le duché avait été par conséquent saisi par son suzerain, le roi de France. À ces mots, Lancastre n’avait pu réprimer sa colère.
— Sire, avait-il lancé abruptement, vous pouvez vous être emparé du duché en toute justice, mais de quel droit le détenez-vous encore ?
— Oh ! c’est très simple, avait avancé de Craon de sa voix mielleuse, nos
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