Un espion à la chancellerie
troupes occupent tout le duché. Et, avait-il ajouté en écartant les mains en un geste expressif, nous attendons impatiemment votre réponse.
Les envoyés anglais avaient déjà discuté de la stratégie à adopter lors de cette entrevue, aussi Lancastre, surmontant son antipathie envers Corbett, l’avait-il prié d’intervenir quand il le jugerait bon. Corbett avait estimé que c’était le moment propice.
— Sire, s’était-il empressé de dire avant que Lancastre ne lançât d’autres remarques imprudentes, cela signifie-t-il que nos deux pays sont en guerre ? Si tel est le cas, avait-il ajouté en singeant le geste de Craon, cette entrevue est terminée et vous trouverez bon que nous prenions congé.
Le visage du roi s’était éclairé d’un bref sourire :
— Monsieur Corbett, vous nous avez mal compris. De Craon exposait la situation telle qu’elle est, et non telle qu’elle devrait être.
Les Anglais s’étaient avidement emparé de l’expression : « telle qu’elle devrait être », et cela avait été le début d’une longue et interminable discussion sur de futures négociations. Corbett n’y avait pas pris part et s’était tenu à l’écart, conscient que de Craon et son maître, Philippe IV, l’observaient tranquillement pendant que les deux camps se renvoyaient des mots tels que « allodial », « fief », « droits féodaux » et « suzeraineté ». Corbett, quant à lui, était d’avis que les Français avaient l’intention d’occuper le duché aussi longtemps que possible. Pourtant, tout comme Lancastre qui lui parlait à voix presque inaudible, Corbett en était venu à la conclusion que le but ultime des Français n’était pas de gagner du temps, mais que l’invasion de la Guyenne faisait partie d’un projet plus ambitieux.
On avait continué à échanger force arguments par-dessus la table jusqu’au moment où l’on s’était mis d’accord pour remettre le débat à une date ultérieure. Certains points litigieux subsistaient, néanmoins, et Lancastre les avait brutalement abordés :
— Sire ! Notre représentant à Paris, Simon Fauvel, a disparu.
— Il n’a pas disparu ! avait rétorqué sarcastiquement de Craon. Je suis au regret de vous annoncer qu’il est mort. Il a été tué, probablement par une de ces bandes de coupe-jarrets qui écument la capitale.
Ses paroles avaient provoqué, dans le camp anglais, des murmures d’indignation et de colère.
— C’est inacceptable ! s’était écrié Lancastre. Nous sommes attaqués dans les environs de Paris, l’agent du roi d’Angleterre est assassiné dans la Cité ! L’autorité du roi de France est-elle à ce point méprisée que l’on bafoue si aisément le caractère sacré des ambassades ?
— Monsieur de Lancastre ! s’était exclamé Philippe IV, veuillez considérer les faits ! Nos envoyés, eux aussi, ont été attaqués en Angleterre. L’embuscade dont vous avez été victimes près de Paris est des plus regrettables. Recevez nos excuses et notre assurance que le prévôt de Paris remue ciel et terre pour retrouver les coupables. Quant à Monsieur Fauvel, avait-il ajouté d’un ton acerbe, il apparaîtrait qu’il ait fait fi de nos conseils en sortant seul, la nuit, et en parcourant les rues après le couvre-feu, en dépit de nos ordonnances. Ces tragiques incidents sont certes fort regrettables, bien sûr, mais ils ne sont qu’au nombre de deux, n’est-ce pas ?
Lancastre avait vu le piège et l’avait adroitement évité. Le roi leur tendait des chausse-trapes dans l’espoir qu’ils feraient mention de l’attaque du Saint Christopher et de la mort de Nicholas Poer. Corbett savait que si Lancastre évoquait cette question, il aurait à s’expliquer sur la mission secrète dont étaient chargés le Saint Christopher et Nicholas Poer. Philippe IV, cependant, ne s’en était pas tenu là.
— Votre maître, notre cher cousin, avait-il ajouté pour tout commentaire, passe par des moments difficiles. Dans ses lettres, il fait des allusions voilées à la haute trahison et à la présence de traîtres autour de lui.
Le roi avait écarté lentement les mains en signe d’impuissance :
— Mais que pouvons-nous y faire ?
Les envoyés, Corbett y compris, avaient été trop abasourdis pour répondre à l’insulte. Le comte de Lancastre et sa suite s’étaient donc retirés, sur un dernier salut.
CHAPITRE V
La réunion qui avait suivi avait
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