Un espion à la chancellerie
amourette et Ranulf lançait des regards noirs à son maître taciturne, coupable d’avoir mis un terme à ces délices.
Corbett ne prêtait pas la moindre attention à la mauvaise humeur de son serviteur, mais veillait à seconder efficacement Lancastre qui avait établi son plan avec minutie. Un cogghe anglais, escorté d’un navire de guerre, les attendait à Calais. Hommes, chevaux, poneys de bât, tous embarquèrent en hâte et en désordre, aiguillonnés par la langue acérée de Lancastre et surveillés par son regard d’acier. Le comte ne prit pas même congé de l’escorte française, mais cracha dans la poussière aux pieds des chevaux avant de se retourner et de franchir la passerelle à grands pas. Le soir même, les navires anglais sortaient de leur mouillage et faisaient voile vers l’Angleterre, affrontant la houle de la Manche.
David Talbot, écuyer de petite noblesse et héritier de bonnes terres dans le Hereford et les Marches du pays de Galles, galopait à bride abattue pour sauver sa peau. Il éperonnait les flancs doux et couverts de sueur de sa monture qui, naseaux tendus, martelait l’ardoise du sentier creusé d’ornières en soulevant une fine poussière blanche. Talbot regarda rapidement par-dessus son épaule : on le poursuivait probablement, sûrement...
Les hommes de Morgan le traquaient dans ces vallées tortueuses et encaissées du pays de Galles, car Talbot était un jeune homme qui en savait trop. Le roi Édouard d’Angleterre lui avait promis une fortune en or s’il rapportait des renseignements sur un chef rebelle gallois qui menait des négociations secrètes avec les Français. Eh bien, Talbot était maintenant en possession de ces renseignements et connaissait également le nom du traître anglais qui révélait les secrets du Conseil. Il avait déjà envoyé des détails au monarque, mais cela il l’apporterait en personne et recevrait ainsi une récompense bien méritée, si seulement il échappait à ses poursuivants, si seulement il ne s’était pas fait surprendre dans l’écurie de Morgan en train d’examiner le moyen qu’avait utilisé l’espion anglais pour faire parvenir ses renseignements au traître gallois !...
Il fallait qu’il s’échappe, qu’il sorte de ces vallées perfides bordées de collines dont le moindre buisson pouvait facilement abriter un archer de Morgan. Les Gallois connaissaient bien les routes des vallées et Talbot avait vu s’allumer les fanaux qui transmettaient les messages. Il se retourna et sentit le coeur lui manquer en apercevant ses poursuivants qui, capes noires au vent, venaient de pénétrer ventre à terre dans la vallée. Talbot se pencha sur l’encolure de sa monture, l’encourageant de la voix tout autant que de son éperon meurtrissant et ensanglanté. L’entrée encaissée de la vallée fut bientôt en vue. Talbot poussa un cri de soulagement et se souleva sur la selle, ce qui rendit sa mort instantanée. Les filins acérés tendus en travers de la vallée le décapitèrent et envoyèrent sa tête, d’où jaillissait le sang, rebondir comme une balle sur l’ardoise fine.
CHAPITRE VII
Corbett attendait à la porte de la salle située au bout d’un des couloirs aux murs blancs qui partaient du Grand Hall de Westminster. Plusieurs fois déjà, il s’était amusé à examiner la charpente du plafond ou avait ouvert un volet pour admirer les jardins royaux qui commençaient à embaumer sous le chaud soleil printanier. Corbett avait débarqué à Douvres deux semaines auparavant et était revenu à Londres, mais avait succombé à une mauvaise fièvre qui lui avait endolori les membres et la tête. Lancastre lui avait dit de se reposer pendant que les autres envoyés et lui-même iraient faire leur rapport au roi.
Corbett avait passé ses journées à se faire soigner par un Ranulf trop zélé qui se montrait toujours anxieux quand son maître était malade, car si ce dernier venait à mourir, il perdrait son gagne- pain. Ils avaient fait appel à un médecin qui voulait pratiquer une saignée pour, disait-il, chasser la fièvre et apaiser les humeurs malignes. Lorsque Corbett avait menacé de lui trancher la gorge, le médecin avait rapidement changé de tactique et placé une pierre de jade sur l’estomac du clerc, tout en lui donnant une décoction de persil, de fenouil, de gingembre et de cannelle, réduits en poudre et servis dans du vin brûlant. Corbett avait beaucoup transpiré dans son sommeil
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