Un espion à la chancellerie
hostile à vos intérêts et qu’il s’est allié à vos ennemis de l’étranger et dans le pays. La force agissante derrière tout cela est, comme vous ne l’ignorez pas, Philippe de France, qui a pour but de s’emparer de vos terres en France et de soulever l’Écosse, le pays de Galles et l’Irlande. Sachez que j’ai vu ces mêmes bateaux français apporter des armes et que Lord Morgan a de nouvelles sources de richesse. Je vous supplie, Sire, d’intervenir, sinon votre cause est perdue. Que Dieu vous ait en Sa Sainte Garde ! Écrit à Neath. Mars 1296.
Corbett jeta un regard interrogateur à Édouard.
— Qui est ce Morgan ?
— Un seigneur gallois. Il était en guerre avec le comte de Gloucester et a accepté mes offres de paix après sa reddition.
Corbett observa les traits tirés du roi.
— Alors pourquoi ne pas l’arrêter si c’est un traître ?
— Ce ne sont que des rumeurs, rétorqua le monarque d’une voix agacée. Il n’y a aucune preuve, à part les lettres de Talbot, et Talbot est mort.
Lancastre se leva et se dirigea d’une démarche traînante vers la fenêtre ouverte.
— Écoutez, dit-il doucement, tout cela, ce sont des symptômes. Poer, Fauvel, Talbot, la présence française au pays de Galles ne sont que les symptômes d’une maladie plus grave, à savoir la haute trahison. Démasquez le traître, débusquez-le et tout le reste n’aura plus lieu d’être !
Édouard dévisagea son frère et le silence se fit.
— Waterton ! lança-t-il brusquement. C’est Waterton l’espion, le traître ; sa mère était française, il est plus riche qu’il ne le devrait même si son père était un marchand prospère. Qui plus est, ce dernier était un partisan de Simon de Montfort !
Corbett se raidit et jeta un regard perçant à son souverain. En 1265, Montfort, le grand baron qui s’était rebellé contre l’autorité d’Henri III, père du roi, avait été massacré à la bataille d’Evesham, ce qui avait enfin mis un terme à une cruelle guerre civile. Les bourgeois de Londres avaient été de fervents partisans du défunt Montfort. Des centaines d’entre eux avaient payé ce soutien de leur vie ou d’une forte amende. Cette vieille blessure ne s’était pas encore refermée. Corbett était bien placé pour le savoir, car, des années auparavant, Édouard l’avait chargé de retrouver et de supprimer les partisans du défunt Montfort.
— Sire, dit-il d’une voix pressante, nous avons assez de preuves. Mettez Waterton en état d’arrestation et faites cesser ainsi ses actes de trahison !
— Bien parlé, concéda Édouard. Mais ne vous en faudrait-il pas d’autres ?...
— Non.
— Mais que se passe-t-il si vous vous trompez ? Qu’arrive-t-il si Waterton n’est qu’un pion ? Après tout, il est membre de la Maison de Richemont. C’est le comte qui me l’a recommandé et le comte, également, qui a causé la défaite de mes troupes en Guyenne !
— Soupçonnez-vous le comte de Richemont ? s’enquit Corbett.
— Il est français, il a des terres en France et Dieu sait comment il s’y est pris pour perdre mon armée !
Édouard se leva et arpenta la pièce.
— Les Français, poursuivit-il, ont lancé leur attaque sur la Guyenne en 1293. L’automne 1294, le comte de Bretagne a fait débarquer mes troupes à La Réole et y a installé la garnison. Au printemps 1295, les Français ont assiégé la ville et en moins de quinze jours – quinze jours ! — il avait signé la reddition de la ville et de l’armée !
— Vous croyez, Sire, qu’il pourrait être coupable de trahison ? demanda Corbett.
— C’est possible, c’est bien possible.
— Si le traître se trouve ici, à Westminster, intervient Lancastre, comment s’y prend-il pour communiquer avec les Français ? Philippe n’a pas d’envoyés à Londres, tous les ports et bateaux sont fouillés. Aucun de nos agents dans les ports français n’a remarqué d’échanges de lettres.
— Et par le pays de Galles ou l’Écosse ? suggéra Corbett.
— Non, répondit le roi. Les renseignements parviennent à destination trop rapidement. Philippe semble savoir ce que j’ai décidé en l’espace de quelques jours. Non, c’est d’ici qu’ils partent.
— Des lettres sont-elles envoyées en France ? demanda Corbett.
— Oui, des lettres officielles à Philippe et des lettres aux otages.
— Quels otages ?
— Quand le comte de Bretagne s’est
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