Un espion à la chancellerie
des doigts. Le clerc, après avoir constaté que la troupe était bien pourvue en épées, masses, gourdins et boucliers, tendit son poignard avec un haussement d’épaules.
— Qui êtes-vous ?
Le chef parlait un anglais presque parfait. Corbett s’étonna : ainsi, sous cette défroque et cette piteuse armure, se cachait quelqu’un de relativement instruit.
— Mon nom est Hugh Corbett. Je travaille à la Chancellerie et voici mon serviteur, Ranulf-atte-Newgate. Nous sommes ici en mission pour le compte du roi Édouard d’Angleterre et demandons audience auprès de Lord Morgan. Et vous, Messire, qui êtes vous ?
Le cavalier, interloqué, fixa un moment Corbett puis éclata de rire. Il se retourna vers ses compagnons et leur parla en gallois. Irrité, Corbett se mordilla la lèvre, certain que l’homme le singeait. Derrière lui, Ranulf, sa peur passée, jetait des regards furieux autour de lui, ce qui avait l’heur de beaucoup amuser les Gallois. L’un d’eux se pencha même pour ébouriffer les cheveux du jeune homme qui réagit par une bordée d’injures et déclencha ainsi de nouveaux éclats de rire.
Quant à Corbett, il se tint coi et n’essaya pas de jouer les héros ; il savait que les Gallois, bien qu’aimables et courtois en règle générale, avaient le sang chaud et pouvaient soudain devenir agressifs ; il n’avait pas oublié les corps qui se balançaient au gibet à l’entrée de la vallée. Les rires décrurent et le chef, s’emparant des rênes de la monture de Corbett, prit la tête du cortège tandis que les autres se regroupaient derrière eux. Le château de Neath se dressa bientôt de toute sa masse ; c’était une forteresse sinistre et glaciale perchée sur une falaise qui tombait à pic dans l’océan et dont la base rocheuse était battue par les flots.
Un donjon impressionnant dominait la courtine crénelée et, en approchant de la tour centrale, Corbett aperçut des silhouettes de soldats sur le chemin de ronde ainsi que d’énormes étendards frappés aux armoiries des Morgan : cinq queues de cheval. Ce n’était pas tout ; un pendu se balançait aux remparts et, juste au-dessus de la porte principale, une cage carrée, rongée par la rouille, était suspendue à une grosse chaîne rougeâtre qui grinçait sinistrement dans la brise.
Corbett frissonna en voyant les ossements blanchis empilés dans un coin de la cage. Son escorte, elle, ne parut pas s’en émouvoir, et ils franchirent à grand fracas le pont-levis en bois qui enjambait un étroit fossé profond.
Mais ils durent faire halte sous la voûte d’entrée, balayée par le vent et envahie par la moisissure, pour qu’on lève la herse et les laisse entrer dans la vaste cour qui entourait le donjon. Si certains bâtiments en pierre étaient accolés au donjon, d’autres, en bois, étaient soit indépendants, soit adossés à la muraille : il y avait là une forge, des resserres, une cuisine, une écurie, une porcherie et des étables rudimentaires ; un petit village, en somme, où les poules picoraient et grattaient le sol en caquetant à l’adresse des chiens et des cochons qui fouillaient et reniflaient partout, où des gamins jouaient avec une vessie d’animal et où des bébés nus comme des vers se traînaient dans la poussière, leurs parents vaquant par ailleurs.
Le vacarme s’apaisa à l’entrée de la petite troupe ; les hommes mirent pied à terre dans la cour. Corbett et Ranulf furent soigneusement fouillés ; un lévrier, venu les flairer, fut chassé à coups de pied. Puis un vieil homme aux yeux chassieux et aux bras difformes s’avança d’une démarche traînante pour mieux dévisager Corbett. Il se gratta le nez en gloussant et caressa doucement la manche du clerc.
— Va-t’en, Gareth, lui ordonna tranquillement le chef de l’escorte, et le faible d’esprit s’éloigna en trottinant et en envoyant des baisers à Corbett.
— C’est un Anglais, expliqua le soldat d’un ton plein de sous-entendus. Lord Morgan l’a capturé pendant la guerre et lui a fait subir la question. Il a perdu son nom en même temps que l’esprit. Nous l’avons appelé Gareth. Lord Morgan n’est pas très doux avec les espions !
Corbett haussa les épaules et lui tendit les rênes de sa monture en lui disant froidement :
— Occupez-vous de mon cheval et allez annoncer à Lord Morgan que les envoyés du roi Édouard sont prêts à le rencontrer.
Il vit le Gallois blêmir
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