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Un espion à la chancellerie

Un espion à la chancellerie

Titel: Un espion à la chancellerie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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mesure qu’ils approchaient du château de Neath et de la côte tourmentée aux rochers couverts d’algues, la campagne se faisait moins peuplée. De temps à autre, ils croisaient un colporteur ou un marchand qui, au seul nom de Lord Morgan, leur débitait un rapide baragouin, et, bien qu’il ne saisît pas tous les mots, Corbett devinait à ses mimiques anxieuses que Lord Morgan s’était taillé une redoutable réputation. Corbett avait recueilli quelques renseignements sur lui : douze ans auparavant, Édouard avait envahi le pays de Galles et dès 1284 toute la contrée avait été soumise à sa loi. C’est cette même année que s’était tenue à Caernarvon une réunion de la Table ronde, au cours de laquelle le fils d’Édouard avait reçu le titre de Princeps Walliae, ou prince de Galles. Des troubles, cependant, agitaient le pays occupé et de soudaines révoltes éclataient comme des incendies de forêt. L’une d’elles, de grande ampleur, avait eu lieu en 1294, deux ans auparavant, et le mécontentement s’était vite répandu dans le pays.
    Ce soulèvement avait reçu le soutien de Lord Morgan, ulcéré que Gilbert de Clare, comte de Gloucester, empiétât sur ses terres. Morgan avait eu de nombreux partisans, mais Édouard avait réagi rapidement en levant des troupes près de Chester et en écrasant les rebelles par de brillantes campagnes à l’intérieur de la contrée. Lord Morgan, comme d’autres princes gallois, avait dû négocier pour être à nouveau accepté par le roi. Il avait pu garder le château de Neath et ses domaines ; mais, si l’on en croyait le message de Talbot, il recommençait à comploter, et cette fois avec le roi de France. Corbett voyait s’esquisser un complot à trois têtes, triangle formé d’un côté par Philippe le Bel et d’un autre par Lord Morgan, mais qui était le troisième larron, le traître anglais qui livrait les secrets du roi ?
    Lord Morgan était probablement un traître, mais il détenait encore un pouvoir considérable : à l’entrée de la longue vallée de Neath, large et verdoyante, qui serpentait à travers les collines, s’élevaient deux estrades massives reposant sur de solides madriers de frêne enfoncés dans le sol et portant, chacune, une énorme roue de charrette renversée. À chaque rayon – et il devait y en avoir douze – pendait un corps, la nuque brisée, la tête branlante, le visage noirâtre, les yeux exorbités et la langue pendante ; et sous la roue, un misérable était cloué au poteau par les oreilles, une pancarte rudimentaire autour du cou le dénonçant comme braconnier.
    Ranulf pâlit de frayeur et Corbett se demanda in petto quels périls les guettaient. Ils s’enfoncèrent dans la vallée, entre de verts coteaux fertiles, parsemés de futaies et d’amas rocheux. Le silence oppressant n’était rompu que par le cri rauque des corneilles ou l’appel moqueur des courlis. À l’abbaye de Bristol, un moine qui parlait le gallois leur avait dessiné une carte grossière, et Corbett savait donc que le château de Neath se dressait au fond de la vallée, sur des falaises déchiquetées dominant la mer. Il n’avait pas plus tôt aperçu les murailles grises qu’il se retourna, la peur au ventre : des cavaliers armés avaient surgi du couvert et s’élançaient vers eux.
    Il vit les nuages de poussière soulevés par les sabots martelant le sol, le reflet du soleil sur le métal et les grandes bannières or et vert qui flottaient et claquaient au vent au-dessus de la petite troupe. Corbett agrippa les rênes du poney de bât et chercha à dégainer son poignard, mais il n’en eut pas le temps : les assaillants les encerclaient déjà. Corbett avait vu des individus moins patibulaires condamnés au gibet des Elms, à Londres ; les cavaliers, une vingtaine en tout, étaient revêtus de toute une gamme de pièces d’armure dépareillées, camails, hauberts, grèves {10} ; certains portaient des casques, plats ou coniques, et la plupart étaient revêtus de peaux d’animaux – de veau, de loup, de loutre et de renard. Leur chef, un gaillard basané à moustache noire et tombante, arborait une tenue dont la splendeur le disputait au sordide : chausses et bottes de cuir, chemise de satin pourpre élimée sous un haubert rouillé, et, en guise de coiffe, la gueule grimaçante d’un chat sauvage dont la peau était emmêlée à sa chevelure.
    Il pointa son épée sur la poitrine de Corbett et claqua

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