Un espion à la chancellerie
blondinet en minaudant presque. Vous avez tout à fait raison.
Puis il se tourna vers Corbett.
— Veuillez me permettre de me présenter. Je suis Gilbert Medar, régisseur de Lord Morgan.
Corbett eut un sourire circonspect. Gilbert pouvait bien être le régisseur du lord, pensa-t-il, et peut-être même un peu plus, mais ce n’était ni l’endroit ni le moment de commencer une discussion à ce sujet. Morgan reposa son gobelet et rangea les échecs dans une boîte incrustée de pierreries qu’il replaça sous la table.
— Le roi d’Angleterre, reprit-il brusquement, vous a envoyé ici. Pourquoi ?
Corbett s’attendait à cette question. De sa brève entrevue avec Édouard, à Londres, il avait surtout retenu une chose : il devait recueillir le plus de renseignements possible sur la trahison de Lord Morgan et voir s’il pouvait en tirer des indications sur le traître de Westminster.
Il résolut de mentir et commença d’une voix posée :
— Je vous transmets les salutations et les voeux de notre souverain qui tient à ce que se poursuivent les bonnes relations entre vous et lui. Il aimerait savoir si vous avez arrêté les assassins de David Talbot et vous donne l’assurance qu’il considère comme calomnieuses et mensongères les rumeurs selon lesquelles vous feriez commerce avec son ennemi Philippe de France.
Une joie malicieuse envahit Corbett lorsqu’il vit Lord Morgan détourner le regard et le régisseur se raidir.
— Que le roi d’Angleterre soit remercié pour ses voeux envers un loyal sujet, répondit prudemment Lord Morgan. Nous n’avons pas encore retrouvé les meurtriers de Talbot, malheureusement. Le roi n’ignore pas que les Galles du Sud fourmillent encore d’hommes sans feu ni lieu ; enfin, ajouta-t-il avec un geste qui se voulait chaleureux, je me réjouis de ce qu’il n’ait pas prêté foi aux accusations calomnieuses sur ma loyauté envers la Couronne Que puis-je dire d’autre ?
Quoi d’autre, en effet ? pensa Corbett. Il avait envie d’éclater de rire devant la mine faussement sérieuse de Morgan et la préoccupation feinte de son régisseur.
Deux félons, deux menteurs de la plus belle eau. Corbett s’apprêtait à poursuivre cette farce diplomatique après s’être éclairci la gorge, lorsqu’un bruit au fond de la salle le fit se retourner. Une porte basse s’était ouverte près de l’estrade et une ravissante jeune femme s’avançait vers eux. Sa grâce coupa presque le souffle à Corbett qui s’était levé : sa longue chevelure blonde, partagée par une raie, tombait sur ses épaules comme un voile de gaze. Sa peau claire avait l’éclat pur et vif d’une pierre précieuse et son visage, en forme de coeur, s’ornait d’un petit nez et de larges yeux bleus qui, pleins de malice, soutenaient le regard de Corbett.
Ce dernier n’avait jamais vu semblable beauté et ne se lassait pas de l’admirer, notant la façon dont son surcot vert sombre soulignait sa taille et ses seins. Un fermail parait son cou, une chaînette filigranée en argent sa taille mince, et des bracelets incrustés de pierres précieuses entouraient ses fins poignets. Regardant Corbett droit dans les yeux, elle fit mine d’être choquée et releva légèrement le bas de son surcot.
— Je porte des bottes en veau, s’exclama-t-elle, et des chausses bleu foncé. Cela vous suffit-il ?
— Euh, je vous prie de me pardonner ! bégaya Corbett. Euh, je ne m’attendais pas à...
— ... à quoi ? reprit-elle d’une voix chantante et moqueuse.
— À rien ! rétorqua sèchement Corbett, irrité contre lui-même. J’ai été surpris, c’est tout. Je ne m’attendais pas à trouver une femme ici !
— Vous voulez dire... se mêlant des affaires des hommes, l’art de la guerre, l’art de s’entre-tuer pour d’excellents motifs et l’art d’appeler négociations diplomatiques la moindre trêve...
— Maeve !
Morgan se dressa, jouant la colère mais secrètement ravi, comme le comprit Corbett, de la voir remettre l’envoyé anglais à sa place.
— Je vous présente ma nièce, Maeve, dit-il en se tournant légèrement vers Corbett. Elle n’a pas la langue dans sa poche !
— Ce n’est pas vrai, mon oncle ! protesta-t-elle d’un ton acerbe. C’est que les Anglais, apparemment, n’ont pas l’habitude d’être courtois envers les dames et de les saluer comme il se doit.
Sur ce, elle se retira majestueusement avant même que Corbett pût
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