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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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généreusement offerte à l’admiration des filles, faisaient de lui un personnage vulgaire. Il n’était pas antipathique pour autant. Je lui ai juré qu’il pouvait compter sur ma discrétion, en lançant la paume de ma main droite contre la sienne.
    Un geste courant dans certaines communautés.
    Rassuré, il m’a proposé du thé à la menthe fraîche. Sa spécialité. Dans la cuisine, qui servait également de débarras, nous sommes restés longtemps à bavarder.
    — Il faut me comprendre, petit, les choses se compliquent en ce moment… De Gaulle va nous couillonner.
    — Je crois que mon père non plus ne l’aimait pas, ce général, dis-je pour finir de détendre l’atmosphère.
    Il était très tard ou très tôt, comme on voudra. Je tombais de sommeil et le gros Samyr me parlait de l’Algérie en mangeant des loukoums à la rose.
    Il avait connu Mado là-bas, pendant la Seconde Guerre mondiale, sous un ciel éclatant, à l’ombre des oliviers. Elle était tombée amoureuse d’un marin français, rencontré le soir même de son élection, au cours de la soirée dansante qui avait suivi. Mado était reçue dans la bourgeoisie algéroise ; sa petite notoriété lui servait de passeport.
    On s’ébaubissait de sa simplicité naturelle, de ses façons bonne fille. Elle apprenait les danses modernes aux fils de quelques hauts fonctionnaires en poste dans la région.
    La vie douce, quoi ! Avec des olives vertes à l’apéritif et des ventilateurs dans les chambres pour faire l’amour l’après-midi.
    Eh oui ! Il y a toujours une guerre charmante qui traîne dans le souvenir des gens qui ont réussi dans la vie.
    Le gros Samyr en aurait pleuré. Il suffit d’un rien à ceux qui sont nés près de la Méditerranée pour verser une larme.
    — C’était bien, petit, ça pouvait durer mille ans… « Parole, sans ces ratons qu’on leur a appris à lire, on n’en serait pas là… »
    Samyr s’attendrissait. C’est toujours pareil quand on a pris du ventre, on mange des sucreries pour se consoler.
    Il ne payait pas les filles, à l’époque, l’argent ne manquait pourtant pas dans la famille ! Mais c’était un principe. Chez les Alvarez, négociants en vins de table depuis trois générations, on ne dépensait pas à tort et à travers. Si elle avait voulu, Samyr aurait bien épousé Mado.
    — Dommage, me dit-il en rajoutant un peu d’eau chaude sur son thé à la menthe, parce que son marin est mort sous les bombes anglaises, à Mers El-Kébir…
    Faut-il vraiment s’émouvoir quand il est trop tard pour recommencer ?
    Dans le taxi G7, rouge et noir, qui me ramenait à Arcueil, je me suis endormi en m’interrogeant bêtement.

XVIII
    Le cinéma du boulevard des Peupliers existe peut-être encore. Il s’appelait « Le Régina Palace ». Je pourrais le décrire précisément, car je passais devant chaque jour pour aller prendre mon métro sur la ligne de Sceaux.
    Sa façade était surmontée d’une rotonde imposante (qu’on aurait dite en stuc tant elle faisait décor d’opérette) où chaque semaine, le lundi, un employé accrochait des lettres lumineuses qui, mises bout à bout, formaient le titre du film. Quelquefois, suite à un court-circuit, une lettre s’éteignait, provoquant ainsi l’amusement des enfants.
    Les trois doubles portes à battants du « Régina Palace » étaient recouvertes de faux cuir noir et percées de hublots à hauteur d’homme, derrière lesquels le propriétaire surveillait la file d’attente avant d’ouvrir pour nous laisser entrer.
    Le dimanche en matinée, il s’entourait d’aides vigilants pour calmer l’impatience des jeunes gens, pressés d’aller serrer les filles dans l’ombre.
    « Le Régina » venait d’être rénové, ce qui justifiait probablement aux yeux de la nouvelle direction l’appellation de palace, quand même exagérée. Qu’importe, au début des années soixante, les gens d’Arcueil n’étaient pas regardants : que le film soit parfois en Eastmancolor suffisait à les émerveiller.
    Lorsque j’étais en avance, je m’attardais à regarder les photos exposées, pour les besoins de la publicité, dans une petite vitrine fermant à clef.
    Elles étaient choisies exprès pour attirer les indécis. Mais qui pouvait bien résister au charme hautain de Jean-Claude Pascal, aux bras tendus de Tilda Thamar. Même en noir et blanc ?
    Je me rappelle des femmes alanguies, certainement dans un bordel

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