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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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les épaules ; mais c’est bien ce qui a
failli se passer hier. Il est difficile de ne pas se laisser gagner par le
climat général. Tout le monde a les nerfs à vif, la rue est inquiète, et la
présente journée ne s’annonce pas plus facile que les précédentes. Aussi
vaut-il mieux garder sa lucidité, le bon sens à sa place et le sabre au
fourreau.
    Tandis qu’il descend les deux
étages, Daoiz pense à son camarade Pedro Velarde. Il y a quelques jours, lors
de la dernière réunion qu’ils ont tenue avec le lieutenant-colonel Francisco
Novella et d’autres officiers chez Manuel Almira, officier d’intendance de
l’artillerie, Velarde continuait contre toute logique à se montrer partisan de
prendre les armes contre les Français.
    — Ils sont déjà maîtres de
toutes les places fortes en Catalogne et dans le Nord, argumentait-il,
exaspéré. Ils accaparent les approvisionnements et les munitions, les casernes,
les transports, les chevaux et les fournitures… Ils nous imposent une
humiliation continuelle, intolérable. Ils nous traitent comme des bêtes et nous
méprisent comme des sauvages.
    — Ils changeront peut-être de
manières avec le temps, a objecté Novella sans guère de conviction.
    — Ces gens-là, changer ?
Je les connais bien. J’ai trop fréquenté, à Buitrago, Murat et les bellâtres de
son état-major… Rien que de la canaille !
    — Il faut pourtant bien
reconnaître leur supériorité.
    — C’est un mythe. La Révolution
leur a fait perdre la théorie, et seules leurs campagnes continuelles ont accru
leur pratique. Ils n’ont pas d’autre supériorité que leur arrogance.
    — Tu exagères, Pedro, l’a
contredit Daoiz. Ils ont la meilleure armée du monde. Admets-le.
    — La meilleure armée du monde,
c’est un Espagnol en colère et avec un fusil.
    Une discussion de plus, après tant
d’autres inutiles et interminables. Cela n’a servi à rien de rappeler à cet
exalté de Velarde que la conspiration préparée par les artilleurs – dix-neuf
mille fusils pour commencer, et l’Espagne en armes – avait échoué, que tout le
monde les laissait seuls, et que Velarde lui-même avait coulé leur projet en en
exposant les détails au général O’Farril. D’ailleurs, même les intentions du
roi Ferdinand ne sont pas claires. Pour les uns, ce jeune homme n’est
qu’ambiguïté et indécision ; pour d’autres, il hésite entre un soulèvement
en son nom et une agitation modérée dans une attente prudente.
    — L’attente de quoi ?
insistait Velarde impatient, en criant presque. Il ne s’agit plus de se soulever
pour le roi ou pour n’importe quoi de pareil. Il s’agit de nous ! De notre
dignité et de notre honneur !
    Les arguments employés par Daoiz et
par d’autres ont été inutiles. Velarde ne voulait pas en démordre.
    — Nous devons nous
battre ! répétait-il. Nous battre, nous battre, et nous battre !
    Il était comme fou. Et, sans cesser
son incantation, il a fini par se lever et a disparu dans l’escalier pour
rentrer chez lui ou Dieu sait où, tandis que les autres échangeaient des
regards mélancoliques et haussaient les épaules avant de se séparer, chacun
retournant à ses affaires.
    — Il n’y a rien à faire, a dit
en partant le brave Almira en hochant tristement la tête.
    Daoiz, le cœur brisé, a été
d’accord. Et il l’est toujours ce matin. Pourtant, le plan n’était pas mauvais.
On avait passé en revue les tentatives précédentes, comme celle de José Palafox
entre Bayonne et Saragosse, et l’idée de former dans les montagnes de Santander
une armée de résistance composée de troupes légères ; mais Palafox avait été
découvert, et il avait dû se cacher – il prépare maintenant un soulèvement en
Aragón –, et l’autre projet avait abouti dans les mains du ministre de la
Guerre pour être classé sans autre forme de procès.
    « Ayez la bonté de ne pas me
compliquer la vie. » Tel avait été le commentaire avec lequel le général
O’Farril, fidèle à son style, avait enterré l’affaire.
    Pourtant, malgré les difficultés et
l’absence d’intérêt de la Junte de Gouvernement, une troisième conspiration,
celle des artilleurs, a été discutée jusqu’à ces derniers jours. Le plan,
élaboré au cours de réunions secrètes dans la chocolaterie de la voûte de San
Ginés, à la Fontaine d’Or et chez Almira, 31 rue Preciados, ne visait pas à
remporter une victoire militaire,

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