Un Jour De Colère
impossible contre les Français, mais à être
l’étincelle qui déclencherait une vaste insurrection nationale. Cela faisait un
certain temps que, grâce au colonel Navarro Falcón qui, tout en feignant de ne
pas être au courant, protégeait les conspirateurs, on travaillait en secret
dans le parc d’artillerie de Monteleón à la fabrication de cartouches pour les
fusils, de boulets et de mitraille pour les canons, en réhabilitant des pièces
d’artillerie et en dissimulant la dernière livraison de fusils expédiée de
Plasencia pour éviter que les Français ne mettent la main dessus, comme les
fois précédentes ; ces derniers jours, cependant, le quartier général de
Murat a été alerté et le ministère de la Guerre a donné des ordres pour que ces
activités soient suspendues ; les artilleurs ont donc dû transférer
l’atelier de fabrication des cartouches dans une maison privée. Ils ont
également établi des liaisons avec toutes les régions militaires d’Espagne et
ont fixé, convaincus par Pedro Velarde, les lieux de concentration des troupes
et des futures milices, les commandements respectifs, les dépôts de matériel et
les points où intercepter les courriers français et couper leurs
communications. Mais tout cela exigeait des moyens qui dépassaient ceux de leur
seul corps ; c’est pourquoi Velarde, toujours impétueux, a décidé de son
propre chef et à ses risques et périls de demander l’aide de la Junte de
Gouvernement. Et donc, sans consulter personne, il est allé voir le général
O’Farril et lui a révélé le plan.
Tandis qu’il traverse la place Santo
Domingo en direction de la rue San Bernardo, Luis Daoiz revit l’effroi qu’il a
ressenti en entendant son camarade lui raconter les détails de sa conversation
avec le ministre de la Guerre. Velarde était excité, naïf et plein d’optimisme,
convaincu de l’adhésion du ministre. Mais, en écoutant son récit, Daoiz qui en
sait long sur la nature humaine a compris que la conspiration était condamnée.
C’est pourquoi, s’épargnant des reproches qui n’auraient servi à rien, il s’est
borné à observer un silence attristé, puis à hocher la tête à la fin.
— C’est fichu, a-t-il dit.
Velarde avait pâli.
— Comment, fichu ?
— Oui, fichu. Oublie tout ça…
Nous avons perdu.
— Tu es fou ? – Son ami,
impulsif comme toujours, le tirait par la manche de sa tunique. – O’Farril a
promis de nous aider !
— Lui ?… Nous aurons de la
chance s’il ne nous met pas tous aux arrêts de forteresse.
Daoiz n’avait que trop raison, et
les conséquences de cette indiscrétion n’avaient pas tardé à venir :
changements d’affectation pour les artilleurs, mouvements tactiques des troupes
impériales, et un détachement de Français à l’intérieur du parc d’artillerie.
Le souvenir de la visite du roi Ferdinand à Monteleón début avril, quatre jours
avant de partir pour Bayonne sans autre escorte qu’un aide de camp à cheval, et
celui des acclamations des artilleurs qui l’avaient suivi pendant qu’il
parcourait l’intérieur, accroît maintenant la tristesse du capitaine.
« Vous êtes à moi. Je peux me fier à vous, parce que vous défendrez ma
couronne », avait dit à la fin le jeune roi d’une voix forte, en les
félicitant, lui et ses camarades. Mais en ce premier lundi de mai, ligotés par
les ordres, la méfiance ou la prudence de leurs supérieurs, les artilleurs ne
sont ni au roi ni à personne. Ils ne peuvent même pas se faire confiance entre
eux. Le conjuré le plus élevé en grade est Francisco Novella qui n’est que
lieutenant-colonel et qui, de plus, est en mauvaise santé ; les autres
sont quelques capitaines et lieutenants. Les efforts personnels de Daoiz pour
rallier le corps des Hallebardiers, les Volontaires de l’État de la caserne de
Mejorada et les Carabiniers royaux de la place de la Cebada n’ont pas non plus
donné de résultats ; à part les Gardes du Corps et un nombre restreint
d’officiers de rang inférieur, personne, en dehors du petit groupe d’amis,
n’ose se rebeller contre l’autorité. C’est pourquoi, par prudence, et malgré
les réticences de Pedro Velarde, de Juan Cónsul et de quelques autres, les
conspirateurs ont reporté leur projet à des jours meilleurs. Ceux qui les
suivraient sont trop peu nombreux, surtout après les dernières dispositions qui
confinent les militaires dans leurs quartiers et les privent de
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