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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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journées en sont
la preuve – pour rester du côté du pouvoir constitué quel qu’il soit. Ces
dernières semaines, les évêques ont multiplié les exhortations au calme et à
l’obéissance, redoutant une anarchie qui leur fait plus peur que l’occupation
française. À l’exception de quelques patriotes irréductibles et de quelques
fanatiques qui voient le diable sous chaque aigle impériale, l’épiscopat
espagnol et la quasi-totalité du clergé sont disposés à asperger n’importe qui
d’eau bénite pourvu qu’il respecte les biens ecclésiastiques, favorise le culte
et garantisse l’ordre public. Croyant sentir d’où souffle le vent, certains
évêques se mettent déjà ouvertement au service des nouveaux maîtres français,
en justifiant leur position par des pirouettes théologiques. Et il faudra
attendre que se confirme l’insurrection générale dans toute l’Espagne comme un
ouragan de sang, de règlements de comptes et de brutalités, pour que la
majorité des évêques déclarent être du côté de la rébellion, que les curés
prêchent en chaire la lutte contre les Français et que le poète Bernardo López
García puisse écrire, en simplifiant pour la postérité :
     
    La Guerre ! a clamé le curé
    Devant l’autel dans son ire.
    La Guerre ! a chanté la lyre,
    Et rien ne pourra la dompter.
     
    Mais de tout cela – futurs poèmes et
mythes patriotiques mis à part –, le jeune prêtre don Ignacio ne peut encore
rien soupçonner. Et moins encore aux premières heures de cette journée. Il sait
seulement qu’il a dans une poche le libelle froissé – œuvre d’un traître ou
d’un gabacho, qu’importe –, dont le contact fait bouillir son sang, et
dans l’autre le couteau, même s’il tente de chasser le mot
« violence » de son esprit chaque fois qu’il le palpe. Et il éprouve
une singulière chaleur qui confine au péché d’orgueil : il faudra régler
ça à confesse, se dit-il, quand tout sera fini. Une sensation agréable, aiguë,
totalement neuve, qui le fait se redresser fièrement, au milieu de ses
paroissiens, quand il entend autour de lui les gens murmurer :
« Regardez, vous vous rendez compte, ils ont un prêtre pour les mener ! »
En tout cas, conclut-il, si les choses tournent mal aujourd’hui, personne ne
pourra dire que tous les ecclésiastiques de Madrid sont restés à l’abri
derrière leurs autels et dans leurs cloîtres.
    Les oiseaux en émoi tournent autour
des tours et des clochers de la ville. Huit heures sonnent, et les cloches des
églises répondent aux tambours des gardes qui donnent le signal de la relève
dans les casernes. Au même moment, dans sa maison du numéro 12 de la rue de la
Ternera, le capitaine d’artillerie Luis Daoiz y Torres finit d’endosser son
uniforme et s’apprête à rejoindre son poste à l’état-major de l’Artillerie,
situé dans la rue San Bernardo. Officier doté d’un caractère placide, d’un
grand prestige professionnel et d’une compétence hors du commun, parlant
français, anglais et italien, intelligent et cultivé, Daoiz est en poste à
Madrid depuis quatre mois. Né à Séville il y a quarante et un ans, récemment
fiancé à une demoiselle andalouse de bonne famille, le capitaine est un homme
d’aspect soigné et agréable, bien que de petite taille, car il mesure moins de
cinq pieds. Son visage est légèrement basané, il porte des favoris à la mode,
et il vient tout juste de se mettre aux oreilles, pour sortir dans la rue, les
deux petits anneaux d’or que, par coquetterie militaire, il porte depuis le
temps où il a servi comme artilleur sur les navires de la Flotte. Les
appréciations élogieuses figurant sur ses états de service sont le fidèle
reflet de vingt et un ans d’histoire militaire de sa patrie et de son
époque : défense de Ceuta et Oran, campagne du Roussillon contre la
République française, défense de Cadix contre l’amiral Nelson, et deux voyages
aux Amériques sur le vaisseau San Ildefonso.
    En prenant son sabre, le souvenir de
l’altercation de la veille à l’auberge de Genieys lui revient à l’esprit comme
un sombre nuage : trois officiers français arrogants et obtus, vociférant
des grossièretés sur l’Espagne et les Espagnols sans se rendre compte que les
militaires de la table voisine comprenaient leur langue. De toute manière, il
ne veut plus y penser. Il déteste perdre son sang-froid, lui qui a la
réputation d’avoir la tête sur

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