Un Jour De Colère
la porte de Tolède et la rue du même nom… Ces forces couperont les avenues
en isolant les casernes, et convergeront vers la Plaza Mayor et la Puerta del Sol…
Si nécessaire, pour contrôler le nord de la ville, nous mettrons deux colonnes
supplémentaires : le reste de l’infanterie, venant de la caserne du
Conde-Duque, et celle qui est cantonnée entre Chamartín, Fuencarral et Fuente
de la Reina… Suis-je clair ? Eh bien, exécution ! Mais, auparavant,
messieurs, regardez cette pendule. D’ici une heure, c’est-à-dire à onze heures
et demie, midi au plus tard, tout doit être terminé. Dépêchez-vous. Et vous,
Marbot, restez. J’ai quelque chose pour vous.
— Je n’ai pas de cheval, Votre
Altesse.
— Qu’est-ce que vous
dites ?… Hors de ma vue, misérable ! Belliard, occupez-vous de cet
inutile.
Consterné, apeuré à l’idée d’être
tombé en disgrâce, Marbot se met au garde-à-vous devant le général Belliard,
chef de l’état-major, qui lui donne l’ordre de se procurer immédiatement un
cheval, le sien ou celui de n’importe qui, ou sinon de se tirer une balle dans
la tête. Il lui enjoint également de distribuer un certain nombre de grenadiers
autour du palais Grimaldi afin d’éliminer les tireurs ennemis qui commencent à
faire feu depuis les terrasses et les toits voisins.
— Ils tirent mal, mon général,
rétorque Marbot qui croit bon de plaisanter.
Belliard le foudroie du regard et
indique la vitre brisée d’une fenêtre et, au-dessous, la flaque de sang sur le
parquet.
— Ils tirent si mal qu’ils nous
ont blessé deux hommes ici même.
Ce n’est décidément pas mon jour,
pense Marbot qui se voit déjà dégradé pour incompétence et légèreté. Afin de se
réhabiliter, il exécute avec beaucoup de zèle la mission qui lui a été confiée.
Profitant de l’occasion, il met un peloton à sa disposition personnelle, fait
fuir les maraudeurs par des décharges répétées et nettoie la rue jusqu’à
l’hôtel particulier de don Antonio Hernández. Où il finit par arriver, pour le
plus grand bien de sa réputation écornée, et par récupérer son cheval.
Tandis que le capitaine Marbot
avance avec ses hommes entre la place Doña María de Aragón et celle de Santo
Domingo, des Madrilènes armés d’escopettes, de mousquets et de fusils de chasse
tentent de revenir au Palais royal ou de descendre vers celui-ci depuis la
Puerta del Sol ; mais ils trouvent la voie occupée par les canons et les
grenadiers du colonel Friederichs, qui établit des postes avancés dans les rues
voisines. De sorte que ces groupes sont mitraillés sans pitié dès qu’ils
apparaissent par l’Almudena et la rue San Gil, pris en enfilade par les canons
de l’armée impériale. C’est ainsi que meurt Francisco Sánchez Rodríguez, âgé de
cinquante-deux ans et employé de maître Alpedrete, marchand de voitures :
il est atteint de plein fouet par une salve française au moment où il passe le
coin de la rue du Factor en compagnie des soldats des Volontaires d’Aragón
Manuel Agrela et Manuel López Esteban – tous deux tombent aussi, gravement
blessés, et décéderont au bout de quelques jours – et du facteur José García
Somano, qui échappe à la décharge mais trouvera la mort une demi-heure plus
tard, frappé par une balle sur la place San Martín. Du haut des fenêtres du
Palais, où hallebardiers et gardes se sont approvisionnés en munitions et ont
fermé les portes, résolus à en défendre l’enceinte au cas où les Français
tenteraient d’y pénétrer, le capitaine des Gardes wallonnes Alejandro Coupigny
voit, impuissant, les habitants se faire repousser et courir devant la charge
des cavaliers polonais venus du palais Grimaldi, qui les massacrent à coups de
sabres.
Ceux qui fuient les balles
françaises se fragmentent en petits groupes. Beaucoup parcourent la ville en
réclamant des armes à grands cris, et d’autres, cherchant vengeance, demeurent
aux abords immédiats, dans l’espoir de prendre leur revanche. Tel est le cas de
Manuel Antolín Ferrer, aide du jardinier des Jardins royaux de la Florida, qui
s’est joint au fonctionnaire d’ambassade retraité Nicolás Canal et à un autre
habitant, Miguel Gómez Morales, pour affronter à coups de navajas, au coin des
rues du Viento et du Factor, un piquet de grenadiers de la Garde impériale
qu’ils guettaient sous un porche. Ils tuent ainsi deux Français et se réfugient
ensuite sur la
Weitere Kostenlose Bücher