Un Jour De Colère
brodé. « Un fils à papa », entend-il. Inquiet, il
pense : Ceux-là sont encore plus dangereux que les Français.
— Ah, je me souviens maintenant,
répond-il le plus calmement possible, que j’ai des armes chez moi. J’habite
tout près, je vais les chercher et je reviens.
L’autre l’étudie de bas en haut,
soupçonneux et méprisant.
— Eh bien, allez-y, nom de
Dieu !
Alcalá Galiano hésite, piqué par le
ton de l’homme, et, à ce moment, celui qui fait fonction de chef s’approche.
C’est un portefaix aux mains épaisses et calleuses, qui pue la sueur et qui lui
lance à brûle-pourpoint :
— Vous ne nous servez à
rien !
Le jeune homme sent le sang lui
monter à la figure. Mais qu’est-ce que je fais en compagnie de ces
gens-là ? conclut-il.
— Dans ce cas, je vous souhaite
le bonjour.
Blessé dans son amour-propre, mais
soulagé de quitter cette bande inquiétante, Alcalá Galiano fait demi-tour et se
dirige vers sa maison. Une fois là, il prend son chapeau à galon d’argent et
son épée, et, au grand désespoir de sa mère en larmes, il ressort pour partir à
la recherche de meilleurs compagnons, prêt à se mêler à la bataille aux côtés
de gens convenables et judicieux. Mais il ne rencontre que des bandes de fous
furieux, presque tous de basse condition, et quelques militaires qui essayent
de les calmer. Au coin des rues de la Luna et Tudescos, il avise un officier
dont l’allure lui inspire confiance, lieutenant des Gardes du Corps, auquel il
demande conseil. Celui-ci, croyant, au vu du chapeau galonné, qu’il fait partie
de ses gardes, lui demande ce qu’il fait dans la rue et s’il ne connaît pas les
ordres.
— J’appartiens à l’école de
Cavalerie de Séville, mon lieutenant.
— Eh bien, rentrez
immédiatement chez vous. Je vais de ce pas à ma caserne, et les ordres sont de
ne pas bouger. Et, s’il le faut, de tirer pour mettre fin au tumulte.
— Sur le peuple ?
— Tout est possible. Vous voyez
comment ils se comportent, ce sont des enragés que rien ne peut arrêter. Il y a
beaucoup de morts chez les Français, et il commence à y en avoir chez les
civils… Vous me semblez être de bonne famille. Ne vous joignez pas à ces
exaltés.
— Mais… Est-ce que, vraiment,
nos troupes ne vont pas se battre ?
— Je vous l’ai déjà dit,
sacredieu ! Et je vous le répète, allez chez vous et ne vous mêlez pas à
cette chienlit.
Convaincu et discipliné, échaudé par
l’expérience qu’il vient de vivre, Antonio Alcalá Galiano reprend le chemin de
son domicile, où sa mère, qui l’attend dans l’angoisse, l’accueille en le
suppliant de ne pas repartir. Et finalement, découragé par tout ce qu’il a vu,
il accepte de rester à la maison.
Tandis que le jeune Alcalá Galiano
renonce à être un acteur de cette journée, des groupes de Madrilènes continuent
d’essayer de parvenir au parc de Monteleón pour y trouver des armes. En faisant
un long détour, le serrurier Blas Molina et les siens se voient arrêtés près du
cours San Pablo par la présence d’un piquet français, auquel Molina, rendu prudent
par son expérience du Palais, décide de ne pas se frotter.
— Chaque chose en son temps,
murmure-t-il. Et prudence est mère de sûreté.
D’autres bandes, cependant, arrivent
rapidement et sans incidents aux portes du parc, venant grossir le nombre de ceux
qui sont attroupés devant. C’est le cas de celle qui est menée par l’étudiant
asturien José Gutiérrez, un jeune homme maigre et énergique, à laquelle se sont
unis, avec une douzaine d’individus, le perruquier Martín de Larrea et son
garçon coiffeur Felipe Barrio. Cosme Martínez del Corral, imprimeur et
administrateur d’une fabrique de papier, ancien artilleur, qui habite rue
Principe, est venu lui aussi à Monteleón pour proposer à ses anciens camarades
de se joindre à eux au cas où ils seraient obligés de se battre – bien que
portant sur lui 7250 réaux en billets qu’il vient juste de retirer. De leur
côté, le marchand de charbon Cosme de Mora, qui a sa boutique sur le cours San
Pablo, et son ami le portier de tribunal Félix Tordesillas, habitant rue Rubio,
réussissent à se frayer un chemin à la tête d’un groupe sans être inquiétés par
des Français. À ce parti, l’un des plus nombreux, se sont joints en route le
terrassier Francisco Mata, le charpentier Pedro Navarro, le barbier de la rue
Silva Jerónimo Moraza, le
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