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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’air buté et préoccupé, hoche la tête négativement.
    — Pas plus pour nous que pour
les autres. Pas la moindre cartouche.
    En entendant cela, Esquivel ne se
perd pas en récriminations. Il s’y attendait. Il va être obligé de faire tout
le chemin du retour à sa caserne avec une troupe sans défense, à travers une
ville en folie. Qu’ils soient tous maudits, pense-t-il : ses chefs, les
Français, la populace et leurs putains de mères.
    — Quelles sont les dernières
instructions ?
    — Pas de changement. Nous
enfermer et ne pas mettre le nez dehors.
    — Nous en sommes donc toujours
au même point ? Avec ce qui se passe dans la ville ?
    L’autre fait une grimace dégoûtée.
    — Je n’y peux rien. J’exécute
les ordres, comme vous.
    — Les ordres ? Quels
ordres ?… Ici, personne ne commande rien.
    Le lieutenant ne répond pas et se
contente de le regarder comme pour le presser de s’en aller le plus vite
possible. Esquivel observe avec angoisse ses vingt grenadiers de la Marine qui
achèvent de se rassembler dans la cour, leurs fusils inutiles à l’épaule. Pour
comble, constate-t-il, le brillant uniforme de ce corps d’élite, veste bleue à
revers rouges, buffleterie blanche et bonnet à poil, peut être pris de loin
pour celui des grenadiers de l’armée impériale.
    — Quelles nouvelles des
Français ?
    Le lieutenant fait mine de cracher
entre ses bottes, mais se retient. Puis il hausse les épaules avec
indifférence.
    — Ils se préparent à marcher
sur le centre de la ville. C’est du moins ce qu’on dit.
    — Ça sera un massacre. Vous
avez vu comme les gens sont déjà déchaînés. J’ai assisté à des choses…
    — Ça, c’est le problème des gabachos, non ?… Ce n’est ni le vôtre ni le mien.
    Il est clair que le nouveau venu
commence à trouver la conversation déplaisante. Et il paraît décidé à ne pas se
compliquer la vie. Il jette des regards impatients à droite et à gauche, avec
le désir visible de voir Esquivel disparaître afin de pouvoir barricader les
portes.
    — À votre place, je filerais
sans tarder, suggère-t-il.
    Esquivel acquiesce comme s’il
prenait cette suggestion pour parole d’Évangile.
    — Je ne me le ferai pas dire
deux fois, conclut-il. Bonne chance.
    — Vous aussi.
    Décidé à faire contre mauvaise
fortune bon cœur, inquiet de ce qu’il va trouver dehors, l’enseigne de frégate
se rend auprès de ses grenadiers qui le regardent avec un mélange de confiance
et d’anxiété. De l’hôtel des Postes à la promenade du Prado, le trajet est
long. Même s’ils seront mieux là-bas, avec le reste de la compagnie – surtout
si, finalement, on leur ordonne de sortir dans la rue, que ce soit pour aider
le peuple ou pour le réprimer –, cela se présente comme une course
d’obstacles : la distance, la foule et les Français. Ces derniers surtout
qui, venant du Buen Retiro, vont sûrement suivre, dans le sens inverse, le même
chemin que celui qu’il doit emprunter pour se rendre à la caserne. Et il
préfère ne pas imaginer ce qui se passera s’ils se rencontrent.
    — Baïonnette au canon !
    Au moins, se promet-il
intérieurement, nous ne nous laisserons pas surprendre les mains dans les
poches.
    — Préparez-vous à sortir. À mon
commandement et sans vous arrêter. Quoi que vous voyiez, quoi qu’il se passe,
ne me quittez pas des yeux… Prêts ?
    Le sergent du détachement, avec sa
face tannée de vétéran et ses cicatrices de Trafalgar, le regarde comme pour
lui demander s’il sait ce qu’il fait. Pour rassurer ses hommes, Esquivel se
force à sourire.
    — Arme à l’épaule ! Pas de
gymnastique !
    Et après s’être signé mentalement,
l’enseigne de frégate prend la tête de ses hommes et quitte l’édifice. À peine
dehors, sa première impression est de pénétrer dans une marée humaine. En
reconnaissant l’uniforme de la Marine, la foule, respectueuse, cède le passage.
Il y a beaucoup de gens du peuple, des femmes venues des quartiers sud, et les
balcons et les fenêtres sont surchargés comme s’il s’agissait d’une fête. À la
vue de soldats espagnols, certains sourient, poussent des vivats ou
applaudissent. D’autres, plus froids, les exhortent à s’unir à eux ou à leur
donner leurs fusils. Imperturbable, sans rien écouter, Esquivel poursuit son
chemin. Du côté de Santa Ana, il entend des coups de feu. Bien résolu à ne
regarder personne, le sabre dans son

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