Un Jour De Colère
ordre : le secrétaire
comptable Manuel Almira et le surnuméraire Domingo Rojo Martínez. Ils se lèvent
de derrière leurs tables, abandonnent plumes et encriers, prennent chacun un
fusil et, sans prononcer un mot, suivent Velarde.
Presque à la même heure, pendant que
le capitaine Velarde quitte l’état-major de l’Artillerie, de l’autre côté de la
ville, près de la fontaine de Neptune, le capitaine Marcellin Marbot regarde la
route qui descend du Buen Retiro, prêt à guider la progression de la colonne de
cavalerie envoyée par le général Grouchy en direction de la Puerta del Sol, où,
selon un courrier qui vient d’arriver – au galop et un bras fracassé par une
balle –, tout est toujours aux mains de la populace. Se retournant pour voir
au-delà de la croupe de son cheval, Marbot, ferme et droit sur sa selle, admire
la machine de guerre immobile derrière lui.
Rien au monde ne peut arrêter ça,
pense-t-il avec orgueil.
Et il n’a pas tort. C’est la fine
fleur des troupes impériales : la meilleure cavalerie du monde. Le long du
mur sud des écuries, alignés par escadrons, les rangs compacts de montures et
de cavaliers occupent toute l’esplanade jusqu’à la place du Coliseo de l’ancien
palais de la dynastie d’Autriche ; les pointes des lances, les casques et
les cordons dorés scintillent sous le soleil du matin. L’avant-garde est formée
d’une centaine de mamelouks et d’une cinquantaine de dragons de l’Impératrice.
Ils sont suivis de deux cents chasseurs à cheval et d’autant de grenadiers
montés, appartenant tous à la Garde impériale, et de près d’un millier de
dragons de la brigade Privé. La mission de ce corps de cavalerie est de balayer
la Puerta del Sol et la Plaza Mayor pour faire sa jonction avec l’infanterie,
qui arrivera par la rue Arenal et la Calle Mayor, et la cavalerie lourde, qui
avancera de Carabanchel par la rue Toledo.
— À vous de jouer, Marbot.
Le colonel Daumesnil, un vétéran,
chargé de commander la première attaque, vient de rejoindre le capitaine. Il
monte un superbe rouan pommelé et porte son brillant uniforme de colonel des
chasseurs à cheval de la Garde : pelisse rouge élégamment nouée sur une
épaule, dolman vert, colback en poil d’ours, la mentonnière encadrant les yeux
vifs et la moustache. « Réprimer un soulèvement de gamins et de vieilles
femmes, a-t-il dit d’un air écœuré, n’est pas un travail de soldat. » Mais
les ordres sont les ordres. Respectueusement, Marbot lui recommande la rue
d’Alcalá, qui est large et dégagée.
— Faites attention aux
débouchés des rues sur la gauche, mon colonel. Il y a beaucoup de gens
embusqués.
Mais Daumesnil se montre partisan
d’envoyer l’avant-garde par le cours San Jerónimo, qui est le chemin le plus
court. Le reste des forces suivra ensuite par la rue d’Alcalá, ce qui permettra
de nettoyer les deux artères.
— Qu’ils montrent leur groin,
s’ils l’osent… Nous précédez-vous pour rejoindre le grand-duc, ou venez-vous
avec nous ?
— Vu la situation à la Puerta
del Sol, je préfère vous accompagner. Vous avez constaté l’état dans lequel est
arrivé le dernier éclaireur, et vous avez entendu ce qu’il a raconté. Avec ma
petite escorte, je ne pourrai pas passer.
— Restez avec moi, donc…
Mustafa !
Le vaillant chef des mercenaires
égyptiens, celui-là même qui, à Austerlitz, a failli s’emparer du grand-duc
Constantin de Russie, s’approche sur son cheval en caressant gravement son
énorme moustache. C’est un individu grand et fort, vêtu d’un pantalon bouffant
rouge, d’un gilet et d’un turban ; à sa ceinture, comme à celle de ses
camarades, luisent une dague courbe et un long cimeterre.
— Toi et tes mamelouks, vous
partez devant. Et pas de pitié.
Un sourire féroce éclaire le visage
sombre de l’Égyptien. « Iallah bismillah ! » répond-il,
et, faisant faire volte-face à sa troupe bigarrée, il se met à sa tête.
Daumesnil se tourne vers son trompette, celui-ci exécute une sonnerie, tous
crient « Vive l’Empereur ! », et l’avant-garde de la colonne
s’ébranle.
Vingt minutes avant que la cavalerie
de la Garde n’avance depuis le Buen Retiro, l’enseigne de frégate Manuel
Esquivel a vu, non sans soulagement, arriver la relève à l’hôtel des Postes de
la Puerta del Sol.
— Vous apportez des munitions ?
Le nouveau venu, un lieutenant sorti
du rang et déjà âgé,
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