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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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muletier du León Rafael Canedo, et José Rodríguez,
marchand de vin sur le cours San Jerónimo, accompagné de son fils Rafael. Dans
la rue Hortaleza, ils reçoivent le renfort des frères Antonio et Manuel
Amador ; lesquels, en dépit de leur refus et des torgnoles qu’ils lui
donnent, ne peuvent empêcher leur petit frère Pepillo, âgé de onze ans, de les
suivre.
    Une autre bande est sur le point
d’arriver à Monteleón, levée par José Fernández Villamil, l’hôtelier de la
place Matute, suivi de ses valets, de quelques voisins et du mendiant de la
place Antón Martín. Faisant irruption dans le dépôt des Invalides de l’Hôtel de
Ville, Fernández Villamil a réussi à s’emparer, sans que les gardes résistent –
l’un de ceux-ci a décidé de partir avec eux –, d’une demi-douzaine de fusils,
avec baïonnettes et munitions. De tous les habitants de Madrid qui se sont
soulevés aujourd’hui, aucun ne traversera autant de péripéties que l’hôtelier
et les siens. Une fois pris les fusils, ils se sont dirigés vers l’esplanade du
Palais par la rue Atocha et la Calle Mayor, mais ils se sont trouvés, près des
Conseils, face à un petit détachement de cavalerie impériale. Dans
l’escarmouche, après avoir abattu d’un coup de fusil l’officier ennemi, le
groupe s’est vu obligé de battre en retraite vers les arcades de la Plaza
Mayor, où il a dû livrer un bref combat auquel a mis fin l’arrivée d’une
colonne française venue de l’esplanade du Palais ; l’hôtelier et les siens
ont dû alors se replier, en traversant à découvert et sous un feu intense la
porte de Guadalajara, vers la place des Descalzas, où sont venus s’ajouter le
maître serrurier Bernardo Morales et Juan Antonio Martínez del Álamo, employé
aux Rentes royales. Une nouvelle tentative de gagner le Palais a été, il y a
peu, coupée net par une décharge de mitraille, au moment où ils passaient à un
carrefour. De retour sur la place des Descalzas, tandis que la troupe
s’arrêtait pour reprendre son souffle, des voisins leur ont dit, du haut de
leurs balcons, que des groupes se dirigeaient vers le parc de Monteleón. De
sorte que, après une courte halte pour se rafraîchir à la taverne de San Martín
et prendre une outre de vin d’une arrobe pour la route – à la vue des fusils,
le tavernier a refusé de se faire payer –, Villamil et ses hommes, mendiant
compris, prennent d’un bon pas le chemin du parc, sans que, cette fois,
personne crie « À mort les Français ! ». Bien qu’ils croisent
des petits groupes qui mènent grand tapage en réclamant des armes ou des
habitants qui les acclament depuis leurs portes, balcons et fenêtres,
l’hôtelier et ses hommes qui ont compris la leçon avancent avec prudence en se
collant aux murs, armes pointées, bouches closes, en essayant de ne pas se
faire remarquer.
    Par les fenêtres de l’état-major de
l’Artillerie, on entend toujours des tirs lointains – maintenant, la fusillade
est continue – et des cris de bandes isolées qui passent en direction de
Monteleón. À onze heures, le capitaine Pedro Velarde qui, au grand dam de son
colonel, n’a pas cessé de murmurer entre ses dents : « Il faut nous
battre, il faut nous battre », et de griffonner sur un papier, recule
brutalement sa chaise et se lève en posant ses poings sur le bureau :
    — Allons mourir !
s’écrie-t-il. Allons venger l’Espagne !
    Navarro Falcón se dresse et tente de
le contenir, mais Velarde est hors de lui. Chaque coup de feu qui résonne dans
la rue, chaque cri des gens qui passent semblent lui dévorer les entrailles.
Les traits décomposés, le visage blême, il désobéit à son supérieur et, sous
les yeux affolés des officiers, soldats et secrétaires accourus à ses cris, il
se précipite vers l’escalier.
    — Allons nous battre contre les
Français !… Allons défendre la patrie !
    Tous se regardent, indécis, tandis
que le colonel lève les bras en leur ordonnant de rester à leur poste. Velarde,
qui s’est arrêté un instant pour voir si quelqu’un l’accompagne, fait demi-tour
et se jette dans la rue après avoir, au passage, arraché le fusil d’une
ordonnance.
    — Que tout le monde garde son
calme ! ordonne Navarro Falcón. Que personne ne le suive !
    Sur la cinquantaine d’hommes qui se
trouvent en ce moment dans les bureaux, la cour et l’entrée de l’état-major de
l’Artillerie, seuls deux désobéissent à cet

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